Le Petit Prince - Grand Format Edition bilingue français-allemand 7,90 ⏠Neuf Poche Expédié sous 6 à 12 jours 7,90 ⏠En stock 6,80 ⏠En stock 7,00 ⏠Actuellement indisponible 9,50 ⏠Actuellement indisponible 9,60 ⏠Actuellement indisponible 9,90 ⏠Ebook Téléchargement immédiat 6,49 ⏠Téléchargement immédiat 11,99 ⏠Téléchargement immédiat 11,99 ⏠Téléchargement immédiat 6,49 ⏠Grand format Expédié sous 3 à 6 jours 13,50 ⏠Livre audio En stock 16,50 ⏠Expédié sous 3 à 6 jours 16,50 ⏠Expédié sous 6 à 12 jours Livré chez vous entre le 6 septembre et le 12 septembre Date de parution 01/03/2017 Editeur ISBN 978-3-946571-01-8 EAN 9783946571018 Format Grand Format Présentation Broché Nb. de pages 151 pages Poids Kg Dimensions 13,5 cm à 21,3 cm à 1,0 cm
Lexposition "Antoine de Saint-ExupĂ©ry: Le Petit Prince parmi les Hommes" vous accueille au Palais 2 de Brussels Expo jusqu'au 6 novembre 2022. Justin Ducol - Journaliste âą aoĂ»t 11, 2022 PoĂ©sie est sans doute le terme le plus appropriĂ© Ă lâincroyable exposition qui vous est offerte en ce moment Ă Brussels Expo , avec « Antoine de Saint-ExupĂ©ry: Le Petit Prince parmi
Vouslâaurez compris, lâĂąme et le cĆur du Petit Prince ne sont rien dâautre que le reflet du caractĂšre de la muse de son auteur. ExaspĂ©rante et capricieuse mais Ă la fois si douce et fragile, Antoine de Saint ExupĂ©ry nâarrive pas Ă quitter Consuelo. Elle est « unique au monde » et lâĂ©crivain en est fou amoureux.Antoine de Saint-ExupĂ©ry LE PETIT PRINCE 1943 Publication du groupe Ebooks libres et gratuits » â Table des matiĂšres PREMIER CHAPITRE CHAPITRE II CHAPITRE III CHAPITRE IV CHAPITRE V CHAPITRE VI CHAPITRE VII CHAPITRE VIII CHAPITRE IX CHAPITRE X CHAPITRE XI CHAPITRE XII CHAPITRE XIII CHAPITRE XIV CHAPITRE XV CHAPITRE XVI CHAPITRE XVII CHAPITRE XVIII CHAPITRE XIX CHAPITRE XX CHAPITRE XXI CHAPITRE XXII CHAPITRE XXIII CHAPITRE XXIV CHAPITRE XXV CHAPITRE XXVI CHAPITRE XXVII Ă propos de cette Ă©dition Ă©lectronique Ă LĂON WERTH Je demande pardon aux enfants dâavoir dĂ©diĂ© ce livre Ă une grande personne. Jâai une excuse sĂ©rieuse cette grande personne est le meilleur ami que jâai au monde. Jâai une autre excuse cette grande personne peut tout comprendre, mĂȘme les livres pour enfants. Jâai une troisiĂšme excuse cette grande personne habite la France oĂč elle a faim et froid. Elle a bien besoin dâĂȘtre consolĂ©e. Si toutes ces excuses ne suffisent pas, je veux bien dĂ©dier ce livre Ă lâenfant quâa Ă©tĂ© autrefois cette grande personne. Toutes les grandes personnes ont dâabord Ă©tĂ© des enfants. Mais peu dâentre elles sâen souviennent. Je corrige donc ma dĂ©dicace Ă LĂON WERTH QUAND IL ĂTAIT PETIT GARĂON PREMIER CHAPITRE Lorsque jâavais six ans jâai vu, une fois, une magnifique image, dans un livre sur la ForĂȘt Vierge qui sâappelait Histoires VĂ©cues ». Ăa reprĂ©sentait un serpent boa qui avalait un fauve. VoilĂ la copie du dessin. On disait dans le livre Les serpents boas avalent leur proie tout entiĂšre, sans la mĂącher. Ensuite ils ne peuvent plus bouger et ils dorment pendant les six mois de leur digestion. » Jâai alors beaucoup rĂ©flĂ©chi sur les aventures de la jungle et, Ă mon tour, jâai rĂ©ussi, avec un crayon de couleur, Ă tracer mon premier dessin. Mon dessin numĂ©ro 1. Il Ă©tait comme ça Jâai montrĂ© mon chef-dâĆuvre aux grandes personnes et je leur ai demandĂ© si mon dessin leur faisait peur. Elles mâont rĂ©pondu Pourquoi un chapeau ferait-il peur ? » Mon dessin ne reprĂ©sentait pas un chapeau. Il reprĂ©sentait un serpent boa qui digĂ©rait un Ă©lĂ©phant. Jâai alors dessinĂ© lâintĂ©rieur du serpent boa, afin que les grandes personnes puissent comprendre. Elles ont toujours besoin dâexplications. Mon dessin numĂ©ro 2 Ă©tait comme ça Les grandes personnes mâont conseillĂ© de laisser de cĂŽtĂ© les dessins de serpents boas ouverts ou fermĂ©s, et de mâintĂ©resser plutĂŽt Ă la gĂ©ographie, Ă lâhistoire, au calcul et Ă la grammaire. Câest ainsi que jâai abandonnĂ©, Ă lâĂąge de six ans, une magnifique carriĂšre de peintre. Jâavais Ă©tĂ© dĂ©couragĂ© par lâinsuccĂšs de mon dessin numĂ©ro 1 et de mon dessin numĂ©ro 2. Les grandes personnes ne comprennent jamais rien toutes seules, et câest fatigant, pour les enfants, de toujours et toujours leur donner des explications. Jâai donc dĂ» choisir un autre mĂ©tier et jâai appris Ă piloter des avions. Jâai volĂ© un peu partout dans le monde. Et la gĂ©ographie, câest exact, mâa beaucoup servi. Je savais reconnaĂźtre, du premier coup dâĆil, la Chine de lâArizona. Câest trĂšs utile, si lâon est Ă©garĂ© pendant la nuit. Jâai ainsi eu, au cours de ma vie, des tas de contacts avec des tas de gens sĂ©rieux. Jâai beaucoup vĂ©cu chez les grandes personnes. Je les ai vues de trĂšs prĂšs. Ăa nâa pas trop amĂ©liorĂ© mon opinion. Quand jâen rencontrais une qui me paraissait un peu lucide, je faisais lâexpĂ©rience sur elle de mon dessin numĂ©ro 1 que jâai toujours conservĂ©. Je voulais savoir si elle Ă©tait vraiment comprĂ©hensive. Mais toujours elle me rĂ©pondait Câest un chapeau. » Alors je ne lui parlais ni de serpents boas, ni de forĂȘts vierges, ni dâĂ©toiles. Je me mettais Ă sa portĂ©e. Je lui parlais de bridge, de golf, de politique et de cravates. Et la grande personne Ă©tait bien contente de connaĂźtre un homme aussi raisonnable. CHAPITRE II Jâai ainsi vĂ©cu seul, sans personne avec qui parler vĂ©ritablement, jusquâĂ une panne dans le dĂ©sert du Sahara, il y a six ans. Quelque chose sâĂ©tait cassĂ© dans mon moteur. Et comme je nâavais avec moi ni mĂ©canicien, ni passagers, je me prĂ©parai Ă essayer de rĂ©ussir, tout seul, une rĂ©paration difficile. CâĂ©tait pour moi une question de vie ou de mort. Jâavais Ă peine de lâeau Ă boire pour huit jours. Le premier soir je me suis donc endormi sur le sable Ă mille milles de toute terre habitĂ©e. JâĂ©tais bien plus isolĂ© quâun naufragĂ© sur un radeau au milieu de lâOcĂ©an. Alors vous imaginez ma surprise, au lever du jour, quand une drĂŽle de petite voix mâa rĂ©veillĂ©. Elle disait â Sâil vous plaĂźt⊠dessine-moi un mouton ! â Hein ! â Dessine-moi un mouton⊠Jâai sautĂ© sur mes pieds comme si jâavais Ă©tĂ© frappĂ© par la foudre. Jâai bien frottĂ© mes yeux. Jâai bien regardĂ©. Et jâai vu un petit bonhomme tout Ă fait extraordinaire qui me considĂ©rait gravement. VoilĂ le meilleur portrait que, plus tard, jâai rĂ©ussi Ă faire de lui. Mais mon dessin, bien sĂ»r, est beaucoup moins ravissant que le modĂšle. Ce nâest pas ma faute. Jâavais Ă©tĂ© dĂ©couragĂ© dans ma carriĂšre de peintre par les grandes personnes, Ă lâĂąge de six ans, et je nâavais rien appris Ă dessiner, sauf les boas fermĂ©s et les boas ouverts. Je regardai donc cette apparition avec des yeux tout ronds dâĂ©tonnement. Nâoubliez pas que je me trouvais Ă mille milles de toute rĂ©gion habitĂ©e. Or mon petit bonhomme ne me semblait ni Ă©garĂ©, ni mort de fatigue, ni mort de faim, ni mort de soif, ni mort de peur. Il nâavait en rien lâapparence dâun enfant perdu au milieu du dĂ©sert, Ă mille milles de toute rĂ©gion habitĂ©e. Quand je rĂ©ussis enfin Ă parler, je lui dis â Mais⊠quâest-ce que tu fais lĂ ? Et il me rĂ©pĂ©ta alors, tout doucement, comme une chose trĂšs sĂ©rieuse â Sâil vous plaĂźt⊠dessine-moi un mouton⊠Quand le mystĂšre est trop impressionnant, on nâose pas dĂ©sobĂ©ir. Aussi absurde que cela me semblĂąt Ă mille milles de tous les endroits habitĂ©s et en danger de mort, je sortis de ma poche une feuille de papier et un stylographe. Mais je me rappelai alors que jâavais surtout Ă©tudiĂ© la gĂ©ographie, lâhistoire, le calcul et la grammaire et je dis au petit bonhomme avec un peu de mauvaise humeur que je ne savais pas dessiner. Il me rĂ©pondit â Ăa ne fait rien. Dessine-moi un mouton. Comme je nâavais jamais dessinĂ© un mouton je refis, pour lui, lâun des deux seuls dessins dont jâĂ©tais capable. Celui du boa fermĂ©. Et je fus stupĂ©fait dâentendre le petit bonhomme me rĂ©pondre â Non ! Non ! Je ne veux pas dâun Ă©lĂ©phant dans un boa. Un boa câest trĂšs dangereux, et un Ă©lĂ©phant câest trĂšs encombrant. Chez moi câest tout petit. Jâai besoin dâun mouton. Dessine-moi un mouton. Alors jâai dessinĂ©. Il regarda attentivement, puis â Non ! Celui-lĂ est dĂ©jĂ trĂšs malade. Fais-en un autre. Je dessinai Mon ami sourit gentiment, avec indulgence â Tu vois bien⊠ce nâest pas un mouton, câest un bĂ©lier. Il a des cornes⊠Je refis donc encore mon dessin Mais il fut refusĂ©, comme les prĂ©cĂ©dents â Celui-lĂ est trop vieux. Je veux un mouton qui vive longtemps. Alors, faute de patience, comme jâavais hĂąte de commencer le dĂ©montage de mon moteur, je griffonnai ce dessin-ci. Et je lançai â Ăa câest la caisse. Le mouton que tu veux est dedans. Mais je fus bien surpris de voir sâilluminer le visage de mon jeune juge â Câest tout Ă fait comme ça que je le voulais ! Crois-tu quâil faille beaucoup dâherbe Ă ce mouton ? â Pourquoi ? â Parce que chez moi câest tout petit⊠â Ăa suffira sĂ»rement. Je tâai donnĂ© un tout petit mouton. Il pencha la tĂȘte vers le dessin â Pas si petit que ça⊠Tiens ! Il sâest endormi⊠Et câest ainsi que je fis la connaissance du petit prince. VoilĂ le meilleur portrait que, plus tard, jâai rĂ©ussi Ă faire de lui CHAPITRE III Il me fallut longtemps pour comprendre dâoĂč il venait. Le petit prince, qui me posait beaucoup de questions, ne semblait jamais entendre les miennes. Ce sont des mots prononcĂ©s par hasard qui, peu Ă peu, mâont tout rĂ©vĂ©lĂ©. Ainsi, quand il aperçut pour la premiĂšre fois mon avion je ne dessinerai pas mon avion, câest un dessin beaucoup trop compliquĂ© pour moi il me demanda â Quâest-ce que câest que cette chose-lĂ ? â Ce nâest pas une chose. Ăa vole. Câest un avion. Câest mon avion. Et jâĂ©tais fier de lui apprendre que je volais. Alors il sâĂ©cria â Comment ! tu es tombĂ© du ciel ? â Oui, fis-je modestement. â Ah ! ça câest drĂŽle⊠Et le petit prince eut un trĂšs joli Ă©clat de rire qui mâirrita beaucoup. Je dĂ©sire que lâon prenne mes malheurs au sĂ©rieux. Puis il ajouta â Alors, toi aussi tu viens du ciel ! De quelle planĂšte es-tu ? Jâentrevis aussitĂŽt une lueur, dans le mystĂšre de sa prĂ©sence, et jâinterrogeai brusquement â Tu viens donc dâune autre planĂšte ? Mais il ne me rĂ©pondit pas. Il hochait la tĂȘte doucement tout en regardant mon avion â Câest vrai que, lĂ -dessus, tu ne peux pas venir de bien loin⊠Et il sâenfonça dans une rĂȘverie qui dura longtemps. Puis, sortant mon mouton de sa poche, il se plongea dans la contemplation de son trĂ©sor. Vous imaginez combien jâavais pu ĂȘtre intriguĂ© par cette demi-confidence sur les autres planĂštes ». Je mâefforçai donc dâen savoir plus long â DâoĂč viens-tu, mon petit bonhomme ? OĂč est-ce chez toi » ? OĂč veux-tu emporter mon mouton ? Il me rĂ©pondit aprĂšs un silence mĂ©ditatif â Ce qui est bien, avec la caisse que tu mâas donnĂ©e, câest que, la nuit, ça lui servira de maison. â Bien sĂ»r. Et si tu es gentil, je te donnerai aussi une corde pour lâattacher pendant le jour. Et un piquet. La proposition parut choquer le petit prince â Lâattacher ? Quelle drĂŽle dâidĂ©e ! â Mais si tu ne lâattaches pas, il ira nâimporte oĂč, et il se perdra⊠Et mon ami eut un nouvel Ă©clat de rire â Mais oĂč veux-tu quâil aille ! â Nâimporte oĂč. Droit devant lui⊠Alors le petit prince remarqua gravement â Ăa ne fait rien, câest tellement petit, chez moi ! Et, avec un peu de mĂ©lancolie, peut-ĂȘtre, il ajouta â Droit devant soi on ne peut pas aller bien loin⊠CHAPITRE IV Jâavais ainsi appris une seconde chose trĂšs importante Câest que sa planĂšte dâorigine Ă©tait Ă peine plus grande quâune maison ! Ăa ne pouvait pas mâĂ©tonner beaucoup. Je savais bien quâen dehors des grosses planĂštes comme la Terre, Jupiter, Mars, VĂ©nus, auxquelles on a donnĂ© des noms, il y en a des centaines dâautres qui sont quelquefois si petites quâon a beaucoup de mal Ă les apercevoir au tĂ©lescope. Quand un astronome dĂ©couvre lâune dâelles, il lui donne pour nom un numĂ©ro. Il lâappelle par exemple lâastĂ©roĂŻde 3251. » Jâai de sĂ©rieuses raisons de croire que la planĂšte dâoĂč venait le petit prince est lâastĂ©roĂŻde B 612. Cet astĂ©roĂŻde nâa Ă©tĂ© aperçu quâune fois au tĂ©lescope, en 1909, par un astronome turc. Il avait fait alors une grande dĂ©monstration de sa dĂ©couverte Ă un CongrĂšs International dâAstronomie. Mais personne ne lâavait cru Ă cause de son costume. Les grandes personnes sont comme ça. Heureusement pour la rĂ©putation de lâastĂ©roĂŻde B 612 un dictateur turc imposa Ă son peuple, sous peine de mort, de sâhabiller Ă lâEuropĂ©enne. Lâastronome refit sa dĂ©monstration en 1920, dans un habit trĂšs Ă©lĂ©gant. Et cette fois-ci tout le monde fut de son avis. Si je vous ai racontĂ© ces dĂ©tails sur lâastĂ©roĂŻde B 612 et si je vous ai confiĂ© son numĂ©ro, câest Ă cause des grandes personnes. Les grandes personnes aiment les chiffres. Quand vous leur parlez dâun nouvel ami, elles ne vous questionnent jamais sur lâessentiel. Elles ne vous disent jamais Quel est le son de sa voix ? Quels sont les jeux quâil prĂ©fĂšre ? Est-ce quâil collectionne les papillons ? » Elles vous demandent Quel Ăąge a-t-il ? Combien a-t-il de frĂšres ? Combien pĂšse-t-il ? Combien gagne son pĂšre ? » Alors seulement elles croient le connaĂźtre. Si vous dites aux grandes personnes Jâai vu une belle maison en briques roses, avec des gĂ©raniums aux fenĂȘtres et des colombes sur le toit⊠» elles ne parviennent pas Ă sâimaginer cette maison. Il faut leur dire Jâai vu une maison de cent mille francs. » Alors elles sâĂ©crient Comme câest joli ! » Ainsi, si vous leur dites La preuve que le petit prince a existĂ© câest quâil Ă©tait ravissant, quâil riait, et quâil voulait un mouton. Quand on veut un mouton, câest la preuve quâon existe » elles hausseront les Ă©paules et vous traiteront dâenfant ! Mais si vous leur dites La planĂšte dâoĂč il venait est lâastĂ©roĂŻde B 612 » alors elles seront convaincues, et elles vous laisseront tranquille avec leurs questions. Elles sont comme ça. Il ne faut pas leur en vouloir. Les enfants doivent ĂȘtre trĂšs indulgents envers les grandes personnes. Mais, bien sĂ»r, nous qui comprenons la vie, nous nous moquons bien des numĂ©ros ! Jâaurais aimĂ© commencer cette histoire Ă la façon des contes de fĂ©es. Jâaurais aimĂ© dire Il Ă©tait une fois un petit prince qui habitait une planĂšte Ă peine plus grande que lui, et qui avait besoin dâun ami⊠» Pour ceux qui comprennent la vie, ça aurait eu lâair beaucoup plus vrai. Car je nâaime pas quâon lise mon livre Ă la lĂ©gĂšre. JâĂ©prouve tant de chagrin Ă raconter ces souvenirs. Il y a six ans dĂ©jĂ que mon ami sâen est allĂ© avec son mouton. Si jâessaie ici de le dĂ©crire, câest afin de ne pas lâoublier. Câest triste dâoublier un ami. Tout le monde nâa pas eu un ami. Et je puis devenir comme les grandes personnes qui ne sâintĂ©ressent plus quâaux chiffres. Câest donc pour ça encore que jâai achetĂ© une boĂźte de couleurs et des crayons. Câest dur de se remettre au dessin, Ă mon Ăąge, quand on nâa jamais fait dâautres tentatives que celle dâun boa fermĂ© et celle dâun boa ouvert, Ă lâĂąge de six ans ! Jâessaierai, bien sĂ»r, de faire des portraits le plus ressemblants possible. Mais je ne suis pas tout Ă fait certain de rĂ©ussir. Un dessin va, et lâautre ne ressemble plus. Je me trompe un peu aussi sur la taille. Ici le petit prince est trop grand. LĂ il est trop petit. JâhĂ©site aussi sur la couleur de son costume. Alors je tĂątonne comme ci et comme ça, tant bien que mal. Je me tromperai enfin sur certains dĂ©tails plus importants. Mais ça, il faudra me le pardonner. Mon ami ne donnait jamais dâexplications. Il me croyait peut-ĂȘtre semblable Ă lui. Mais moi, malheureusement, je ne sais pas voir les moutons Ă travers les caisses. Je suis peut-ĂȘtre un peu comme les grandes personnes. Jâai dĂ» vieillir. CHAPITRE V Chaque jour jâapprenais quelque chose sur la planĂšte, sur le dĂ©part, sur le voyage. Ăa venait tout doucement, au hasard des rĂ©flexions. Câest ainsi que, le troisiĂšme jour, je connus le drame des baobabs. Cette fois-ci encore ce fut grĂące au mouton, car brusquement le petit prince mâinterrogea, comme pris dâun doute grave â Câest bien vrai, nâest-ce pas, que les moutons mangent les arbustes ? â Oui. Câest vrai. â Ah ! Je suis content. Je ne compris pas pourquoi il Ă©tait si important que les moutons mangeassent les arbustes. Mais le petit prince ajouta â Par consĂ©quent ils mangent aussi les baobabs ? Je fis remarquer au petit prince que les baobabs ne sont pas des arbustes, mais des arbres grands comme des Ă©glises et que, si mĂȘme il emportait avec lui tout un troupeau dâĂ©lĂ©phants, ce troupeau ne viendrait pas Ă bout dâun seul baobab. LâidĂ©e du troupeau dâĂ©lĂ©phants fit rire le petit prince â Il faudrait les mettre les uns sur les autres⊠Mais il remarqua avec sagesse â Les baobabs, avant de grandir, ça commence par ĂȘtre petit. â Câest exact ! Mais pourquoi veux-tu que tes moutons mangent les petits baobabs ? Il me rĂ©pondit Ben ! Voyons ! » comme sâil sâagissait lĂ dâune Ă©vidence. Et il me fallut un grand effort dâintelligence pour comprendre Ă moi seul ce problĂšme. Et en effet, sur la planĂšte du petit prince, il y avait comme sur toutes les planĂštes, de bonnes herbes et de mauvaises herbes. Par consĂ©quent de bonnes graines de bonnes herbes et de mauvaises graines de mauvaises herbes. Mais les graines sont invisibles. Elles dorment dans le secret de la terre jusquâĂ ce quâil prenne fantaisie Ă lâune dâelles de se rĂ©veiller. Alors elle sâĂ©tire, et pousse dâabord timidement vers le soleil une ravissante petite brindille inoffensive. Sâil sâagit dâune brindille de radis ou de rosier, on peut la laisser pousser comme elle veut. Mais sâil sâagit dâune mauvaise plante, il faut arracher la plante aussitĂŽt, dĂšs quâon a su la reconnaĂźtre. Or il y avait des graines terribles sur la planĂšte du petit prince⊠câĂ©taient les graines de baobabs. Le sol de la planĂšte en Ă©tait infestĂ©. Or un baobab, si lâon sây prend trop tard, on ne peut jamais plus sâen dĂ©barrasser. Il encombre toute la planĂšte. Il la perfore de ses racines. Et si la planĂšte est trop petite, et si les baobabs sont trop nombreux, ils la font Ă©clater. Câest une question de discipline, me disait plus tard le petit prince. Quand on a terminĂ© sa toilette du matin, il faut faire soigneusement la toilette de la planĂšte. Il faut sâastreindre rĂ©guliĂšrement Ă arracher les baobabs dĂšs quâon les distingue dâavec les rosiers auxquels ils ressemblent beaucoup quand ils sont trĂšs jeunes. Câest un travail trĂšs ennuyeux, mais trĂšs facile. » Et un jour il me conseilla de mâappliquer Ă rĂ©ussir un beau dessin, pour bien faire entrer ça dans la tĂȘte des enfants de chez moi. Sâils voyagent un jour, me disait-il, ça pourra leur servir. Il est quelquefois sans inconvĂ©nient de remettre Ă plus tard son travail. Mais, sâil sâagit des baobabs, câest toujours une catastrophe. Jâai connu une planĂšte, habitĂ©e par un paresseux. Il avait nĂ©gligĂ© trois arbustes⊠» Et, sur les indications du petit prince, jâai dessinĂ© cette planĂšte-lĂ . Je nâaime guĂšre prendre le ton dâun moraliste. Mais le danger des baobabs est si peu connu, et les risques courus par celui qui sâĂ©garerait dans un astĂ©roĂŻde sont si considĂ©rables, que, pour une fois, je fais exception Ă ma rĂ©serve. Je dis Enfants ! Faites attention aux baobabs ! » Câest pour avertir mes amis dâun danger quâils frĂŽlaient depuis longtemps, comme moi-mĂȘme, sans le connaĂźtre, que jâai tant travaillĂ© ce dessin-lĂ . La leçon que je donnais en valait la peine. Vous vous demanderez peut-ĂȘtre Pourquoi nây a-t-il pas, dans ce livre, dâautres dessins aussi grandioses que le dessin des baobabs ? La rĂ©ponse est bien simple Jâai essayĂ© mais je nâai pas pu rĂ©ussir. Quand jâai dessinĂ© les baobabs jâai Ă©tĂ© animĂ© par le sentiment de lâurgence. CHAPITRE VI Ah ! petit prince, jâai compris, peu Ă peu, ainsi, ta petite vie mĂ©lancolique. Tu nâavais eu longtemps pour distraction que la douceur des couchers de soleil. Jâai appris ce dĂ©tail nouveau, le quatriĂšme jour au matin, quand tu mâas dit â Jâaime bien les couchers de soleil. Allons voir un coucher de soleil⊠â Mais il faut attendre⊠â Attendre quoi ? â Attendre que le soleil se couche. Tu as eu lâair trĂšs surpris dâabord, et puis tu as ri de toi-mĂȘme. Et tu mâas dit â Je me crois toujours chez moi ! En effet. Quand il est midi aux Ătats-Unis, le soleil, tout le monde le sait, se couche sur la France. Il suffirait de pouvoir aller en France en une minute pour assister au coucher de soleil. Malheureusement la France est bien trop Ă©loignĂ©e. Mais, sur ta si petite planĂšte, il te suffisait de tirer ta chaise de quelques pas. Et tu regardais le crĂ©puscule chaque fois que tu le dĂ©sirais⊠â Un jour, jâai vu le soleil se coucher quarante-trois fois ! Et un peu plus tard tu ajoutais â Tu sais⊠quand on est tellement triste on aime les couchers de soleil⊠â Le jour des quarante-trois fois tu Ă©tais donc tellement triste ? Mais le petit prince ne rĂ©pondit pas. CHAPITRE VII Le cinquiĂšme jour, toujours grĂące au mouton, ce secret de la vie du petit prince me fut rĂ©vĂ©lĂ©. Il me demanda avec brusquerie, sans prĂ©ambule, comme le fruit dâun problĂšme longtemps mĂ©ditĂ© en silence â Un mouton, sâil mange les arbustes, il mange aussi les fleurs ? â Un mouton mange tout ce quâil rencontre. â MĂȘme les fleurs qui ont des Ă©pines ? â Oui. MĂȘme les fleurs qui ont des Ă©pines. â Alors les Ă©pines, Ă quoi servent-elles ? Je ne le savais pas. JâĂ©tais alors trĂšs occupĂ© Ă essayer de dĂ©visser un boulon trop serrĂ© de mon moteur. JâĂ©tais trĂšs soucieux car ma panne commençait de mâapparaĂźtre comme trĂšs grave, et lâeau Ă boire qui sâĂ©puisait me faisait craindre le pire. â Les Ă©pines, Ă quoi servent-elles ? Le petit prince ne renonçait jamais Ă une question, une fois quâil lâavait posĂ©e. JâĂ©tais irritĂ© par mon boulon et je rĂ©pondis nâimporte quoi â Les Ă©pines, ça ne sert Ă rien, câest de la pure mĂ©chancetĂ© de la part des fleurs ! â Oh ! Mais aprĂšs un silence il me lança, avec une sorte de rancune â Je ne te crois pas ! Les fleurs sont faibles. Elles sont naĂŻves. Elles se rassurent comme elles peuvent. Elles se croient terribles avec leurs Ă©pines⊠Je ne rĂ©pondis rien. Ă cet instant-lĂ je me disais Si ce boulon rĂ©siste encore, je le ferai sauter dâun coup de marteau. » Le petit prince dĂ©rangea de nouveau mes rĂ©flexions â Et tu crois, toi, que les fleurs⊠â Mais non ! Mais non ! Je ne crois rien ! Jâai rĂ©pondu nâimporte quoi. Je mâoccupe, moi, de choses sĂ©rieuses ! Il me regarda stupĂ©fait. â De choses sĂ©rieuses ! Il me voyait, mon marteau Ă la main, et les doigts noirs de cambouis, penchĂ© sur un objet qui lui semblait trĂšs laid. â Tu parles comme les grandes personnes ! Ăa me fit un peu honte. Mais, impitoyable, il ajouta â Tu confonds tout⊠tu mĂ©langes tout ! Il Ă©tait vraiment trĂšs irritĂ©. Il secouait au vent des cheveux tout dorĂ©s â Je connais une planĂšte oĂč il y a un Monsieur cramoisi. Il nâa jamais respirĂ© une fleur. Il nâa jamais regardĂ© une Ă©toile. Il nâa jamais aimĂ© personne. Il nâa jamais rien fait dâautre que des additions. Et toute la journĂ©e il rĂ©pĂšte comme toi Je suis un homme sĂ©rieux ! Je suis un homme sĂ©rieux ! » et ça le fait gonfler dâorgueil. Mais ce nâest pas un homme, câest un champignon ! â Un quoi ? â Un champignon ! Le petit prince Ă©tait maintenant tout pĂąle de colĂšre. â Il y a des millions dâannĂ©es que les fleurs fabriquent des Ă©pines. Il y a des millions dâannĂ©es que les moutons mangent quand mĂȘme les fleurs. Et ce nâest pas sĂ©rieux de chercher Ă comprendre pourquoi elles se donnent tant de mal pour se fabriquer des Ă©pines qui ne servent jamais Ă rien ? Ce nâest pas important la guerre des moutons et des fleurs ? Ce nâest pas plus sĂ©rieux et plus important que les additions dâun gros Monsieur rouge ? Et si je connais, moi, une fleur unique au monde, qui nâexiste nulle part, sauf dans ma planĂšte, et quâun petit mouton peut anĂ©antir dâun seul coup, comme ça, un matin, sans se rendre compte de ce quâil fait, ce nâest pas important ça ! Il rougit, puis reprit â Si quelquâun aime une fleur qui nâexiste quâĂ un exemplaire dans les millions et les millions dâĂ©toiles, ça suffit pour quâil soit heureux quand il les regarde. Il se dit Ma fleur est lĂ quelque part⊠» Mais si le mouton mange la fleur, câest pour lui comme si, brusquement, toutes les Ă©toiles sâĂ©teignaient ! Et ce nâest pas important ça ! Il ne put rien dire de plus. Il Ă©clata brusquement en sanglots. La nuit Ă©tait tombĂ©e. Jâavais lĂąchĂ© mes outils. Je me moquais bien de mon marteau, de mon boulon, de la soif et de la mort. Il y avait, sur une Ă©toile, une planĂšte, la mienne, la Terre, un petit prince Ă consoler ! Je le pris dans les bras. Je le berçai. Je lui disais La fleur que tu aimes nâest pas en danger⊠Je lui dessinerai une museliĂšre, Ă ton mouton⊠Je te dessinerai une armure pour ta fleur⊠Je⊠» Je ne savais pas trop quoi dire. Je me sentais trĂšs maladroit. Je ne savais comment lâatteindre, oĂč le rejoindre⊠Câest tellement mystĂ©rieux, le pays des larmes. CHAPITRE VIII Jâappris bien vite Ă mieux connaĂźtre cette fleur. Il y avait toujours eu, sur la planĂšte du petit prince, des fleurs trĂšs simples, ornĂ©es dâun seul rang de pĂ©tales, et qui ne tenaient point de place, et qui ne dĂ©rangeaient personne. Elles apparaissaient un matin dans lâherbe, et puis elles sâĂ©teignaient le soir. Mais celle-lĂ avait germĂ© un jour, dâune graine apportĂ©e dâon ne sait oĂč, et le petit prince avait surveillĂ© de trĂšs prĂšs cette brindille qui ne ressemblait pas aux autres brindilles. Ăa pouvait ĂȘtre un nouveau genre de baobab. Mais lâarbuste cessa vite de croĂźtre, et commença de prĂ©parer une fleur. Le petit prince, qui assistait Ă lâinstallation dâun bouton Ă©norme, sentait bien quâil en sortirait une apparition miraculeuse, mais la fleur nâen finissait pas de se prĂ©parer Ă ĂȘtre belle, Ă lâabri de sa chambre verte. Elle choisissait avec soin ses couleurs. Elle sâhabillait lentement, elle ajustait un Ă un ses pĂ©tales. Elle ne voulait pas sortir toute fripĂ©e comme les coquelicots. Elle ne voulait apparaĂźtre que dans le plein rayonnement de sa beautĂ©. Eh ! oui. Elle Ă©tait trĂšs coquette ! Sa toilette mystĂ©rieuse avait donc durĂ© des jours et des jours. Et puis voici quâun matin, justement Ă lâheure du lever du soleil, elle sâĂ©tait montrĂ©e. Et elle, qui avait travaillĂ© avec tant de prĂ©cision, dit en bĂąillant â Ah ! Je me rĂ©veille Ă peine⊠Je vous demande pardon⊠Je suis encore toute dĂ©coiffĂ©e⊠Le petit prince, alors, ne put contenir son admiration â Que vous ĂȘtes belle ! â Nâest-ce pas, rĂ©pondit doucement la fleur. Et je suis nĂ©e en mĂȘme temps que le soleil⊠Le petit prince devina bien quâelle nâĂ©tait pas trop modeste, mais elle Ă©tait si Ă©mouvante ! â Câest lâheure, je crois, du petit dĂ©jeuner, avait-elle bientĂŽt ajoutĂ©, auriez-vous la bontĂ© de penser Ă moi⊠Et le petit prince, tout confus, ayant Ă©tĂ© chercher un arrosoir dâeau fraĂźche, avait servi la fleur. Ainsi lâavait-elle bien vite tourmentĂ© par sa vanitĂ© un peu ombrageuse. Un jour, par exemple, parlant de ses quatre Ă©pines, elle avait dit au petit prince â Ils peuvent venir, les tigres, avec leurs griffes ! â Il nây a pas de tigres sur ma planĂšte, avait objectĂ© le petit prince, et puis les tigres ne mangent pas lâherbe. â Je ne suis pas une herbe, avait doucement rĂ©pondu la fleur. â Pardonnez-moi⊠â Je ne crains rien des tigres, mais jâai horreur des courants dâair. Vous nâauriez pas un paravent ? Horreur des courants dâair⊠ce nâest pas de chance, pour une plante, avait remarquĂ© le petit prince. Cette fleur est bien compliquĂ©e⊠» â Le soir vous me mettrez sous globe. Il fait trĂšs froid chez vous. Câest mal installĂ©. LĂ dâoĂč je viens⊠Mais elle sâĂ©tait interrompue. Elle Ă©tait venue sous forme de graine. Elle nâavait rien pu connaĂźtre des autres mondes. HumiliĂ©e de sâĂȘtre laissĂ© surprendre Ă prĂ©parer un mensonge aussi naĂŻf, elle avait toussĂ© deux ou trois fois, pour mettre le petit prince dans son tort â Ce paravent ?⊠â Jâallais le chercher mais vous me parliez ! Alors elle avait forcĂ© sa toux pour lui infliger quand mĂȘme des remords. Ainsi le petit prince, malgrĂ© la bonne volontĂ© de son amour, avait vite doutĂ© dâelle. Il avait pris au sĂ©rieux des mots sans importance, et Ă©tait devenu trĂšs malheureux. Jâaurais dĂ» ne pas lâĂ©couter, me confia-t-il un jour, il ne faut jamais Ă©couter les fleurs. Il faut les regarder et les respirer. La mienne embaumait ma planĂšte, mais je ne savais pas mâen rĂ©jouir. Cette histoire de griffes, qui mâavait tellement agacĂ©, eĂ»t dĂ» mâattendrir⊠» Il me confia encore Je nâai alors rien su comprendre ! Jâaurais dĂ» la juger sur les actes et non sur les mots. Elle mâembaumait et mâĂ©clairait. Je nâaurais jamais dĂ» mâenfuir ! Jâaurais dĂ» deviner sa tendresse derriĂšre ses pauvres ruses. Les fleurs sont si contradictoires ! Mais jâĂ©tais trop jeune pour savoir lâaimer. » CHAPITRE IX Je crois quâil profita, pour son Ă©vasion, dâune migration dâoiseaux sauvages. Au matin du dĂ©part il mit sa planĂšte bien en ordre. Il ramona soigneusement ses volcans en activitĂ©. Il possĂ©dait deux volcans en activitĂ©. Et câĂ©tait bien commode pour faire chauffer le petit dĂ©jeuner du matin. Il possĂ©dait aussi un volcan Ă©teint. Mais, comme il disait, On ne sait jamais ! » Il ramona donc Ă©galement le volcan Ă©teint. Sâils sont bien ramonĂ©s, les volcans brĂ»lent doucement et rĂ©guliĂšrement, sans Ă©ruptions. Les Ă©ruptions volcaniques sont comme des feux de cheminĂ©e. Ăvidemment sur notre terre nous sommes beaucoup trop petits pour ramoner nos volcans. Câest pourquoi ils nous causent des tas dâennuis. Le petit prince arracha aussi, avec un peu de mĂ©lancolie, les derniĂšres pousses de baobabs. Il croyait ne jamais devoir revenir. Mais tous ces travaux familiers lui parurent, ce matin-lĂ , extrĂȘmement doux. Et, quand il arrosa une derniĂšre fois la fleur, et se prĂ©para Ă la mettre Ă lâabri sous son globe, il se dĂ©couvrit lâenvie de pleurer. â Adieu, dit-il Ă la fleur. Mais elle ne lui rĂ©pondit pas. â Adieu, rĂ©pĂ©ta-t-il. La fleur toussa. Mais ce nâĂ©tait pas Ă cause de son rhume. â Jâai Ă©tĂ© sotte, lui dit-elle enfin. Je te demande pardon. TĂąche dâĂȘtre heureux. Il fut surpris par lâabsence de reproches. Il restait lĂ tout dĂ©concertĂ©, le globe en lâair. Il ne comprenait pas cette douceur calme. â Mais oui, je tâaime, lui dit la fleur. Tu nâen as rien su, par ma faute. Cela nâa aucune importance. Mais tu as Ă©tĂ© aussi sot que moi. TĂąche dâĂȘtre heureux⊠Laisse ce globe tranquille. Je nâen veux plus. â Mais le vent⊠â Je ne suis pas si enrhumĂ©e que ça⊠Lâair frais de la nuit me fera du bien. Je suis une fleur. â Mais les bĂȘtes⊠â Il faut bien que je supporte deux ou trois chenilles si je veux connaĂźtre les papillons. Il paraĂźt que câest tellement beau. Sinon qui me rendra visite ? Tu seras loin, toi. Quant aux grosses bĂȘtes, je ne crains rien. Jâai mes griffes. Et elle montrait naĂŻvement ses quatre Ă©pines. Puis elle ajouta â Ne traĂźne pas comme ça, câest agaçant. Tu as dĂ©cidĂ© de partir. Va-tâen. Car elle ne voulait pas quâil la vĂźt pleurer. CâĂ©tait une fleur tellement orgueilleuse⊠CHAPITRE X Il se trouvait dans la rĂ©gion des astĂ©roĂŻdes 325, 326, 327, 328, 329 et 330. Il commença donc par les visiter pour y chercher une occupation et pour sâinstruire. La premiĂšre Ă©tait habitĂ©e par un roi. Le roi siĂ©geait, habillĂ© de pourpre et dâhermine, sur un trĂŽne trĂšs simple et cependant majestueux. â Ah ! VoilĂ un sujet, sâĂ©cria le roi quand il aperçut le petit prince. Et le petit prince se demanda Comment peut-il me reconnaĂźtre puisquâil ne mâa encore jamais vu ! » Il ne savait pas que, pour les rois, le monde est trĂšs simplifiĂ©. Tous les hommes sont des sujets. â Approche-toi que je te voie mieux, lui dit le roi qui Ă©tait tout fier dâĂȘtre roi pour quelquâun. Le petit prince chercha des yeux oĂč sâasseoir, mais la planĂšte Ă©tait toute encombrĂ©e par le magnifique manteau dâhermine. Il resta donc debout, et, comme il Ă©tait fatiguĂ©, il bĂąilla. â Il est contraire Ă lâĂ©tiquette de bĂąiller en prĂ©sence dâun roi, lui dit le monarque. Je te lâinterdis. â Je ne peux pas mâen empĂȘcher, rĂ©pondit le petit prince tout confus. Jâai fait un long voyage et je nâai pas dormi⊠â Alors, lui dit le roi, je tâordonne de bĂąiller. Je nâai vu personne bĂąiller depuis des annĂ©es. Les bĂąillements sont pour moi des curiositĂ©s. Allons ! bĂąille encore. Câest un ordre. â Ăa mâintimide⊠je ne peux plus⊠fit le petit prince tout rougissant. â Hum ! Hum ! rĂ©pondit le roi. Alors je⊠je tâordonne tantĂŽt de bĂąiller et tantĂŽt de⊠Il bredouillait un peu et paraissait vexĂ©. Car le roi tenait essentiellement Ă ce que son autoritĂ© fĂ»t respectĂ©e. Il ne tolĂ©rait pas la dĂ©sobĂ©issance. CâĂ©tait un monarque absolu. Mais, comme il Ă©tait trĂšs bon, il donnait des ordres raisonnables. Si jâordonnais, disait-il couramment, si jâordonnais Ă un gĂ©nĂ©ral de se changer en oiseau de mer, et si le gĂ©nĂ©ral nâobĂ©issait pas, ce ne serait pas la faute du gĂ©nĂ©ral. Ce serait ma faute. » â Puis-je mâasseoir ? sâenquit timidement le petit prince. â Je tâordonne de tâasseoir, lui rĂ©pondit le roi, qui ramena majestueusement un pan de son manteau dâhermine. Mais le petit prince sâĂ©tonnait. La planĂšte Ă©tait minuscule. Sur quoi le roi pouvait-il bien rĂ©gner ? â Sire, lui dit-il⊠je vous demande pardon de vous interroger⊠â Je tâordonne de mâinterroger, se hĂąta de dire le roi. â Sire⊠sur quoi rĂ©gnez-vous ? â Sur tout, rĂ©pondit le roi, avec une grande simplicitĂ©. â Sur tout ? Le roi dâun geste discret dĂ©signa sa planĂšte, les autres planĂštes et les Ă©toiles. â Sur tout ça ? dit le petit prince. â Sur tout ça⊠rĂ©pondit le roi. Car non seulement câĂ©tait un monarque absolu mais câĂ©tait un monarque universel. â Et les Ă©toiles vous obĂ©issent ? â Bien sĂ»r, lui dit le roi. Elles obĂ©issent aussitĂŽt. Je ne tolĂšre pas lâindiscipline. Un tel pouvoir Ă©merveilla le petit prince. Sâil lâavait dĂ©tenu lui-mĂȘme, il aurait pu assister, non pas Ă quarante-quatre, mais Ă soixante-douze, ou mĂȘme Ă cent, ou mĂȘme Ă deux cents couchers de soleil dans la mĂȘme journĂ©e, sans avoir jamais Ă tirer sa chaise ! Et comme il se sentait un peu triste Ă cause du souvenir de sa petite planĂšte abandonnĂ©e, il sâenhardit Ă solliciter une grĂące du roi â Je voudrais voir un coucher de soleil⊠Faites-moi plaisir⊠Ordonnez au soleil de se coucher⊠â Si jâordonnais Ă un gĂ©nĂ©ral de voler dâune fleur Ă lâautre Ă la façon dâun papillon, ou dâĂ©crire une tragĂ©die, ou de se changer en oiseau de mer, et si le gĂ©nĂ©ral nâexĂ©cutait pas lâordre reçu, qui, de lui ou de moi, serait dans son tort ? â Ce serait vous, dit fermement le petit prince. â Exact. Il faut exiger de chacun ce que chacun peut donner, reprit le roi. LâautoritĂ© repose dâabord sur la raison. Si tu ordonnes Ă ton peuple dâaller se jeter Ă la mer, il fera la rĂ©volution. Jâai le droit dâexiger lâobĂ©issance parce que mes ordres sont raisonnables. â Alors mon coucher de soleil ? rappela le petit prince qui jamais nâoubliait une question une fois quâil lâavait posĂ©e. â Ton coucher de soleil, tu lâauras. Je lâexigerai. Mais jâattendrai, dans ma science du gouvernement, que les conditions soient favorables. â Quand ça sera-t-il ? sâinforma le petit prince. â Hem ! hem ! lui rĂ©pondit le roi, qui consulta dâabord un gros calendrier, hem ! hem ! ce sera, vers⊠vers⊠ce sera ce soir vers sept heures quarante ! Et tu verras comme je suis bien obĂ©i. Le petit prince bĂąilla. Il regrettait son coucher de soleil manquĂ©. Et puis il sâennuyait dĂ©jĂ un peu â Je nâai plus rien Ă faire ici, dit-il au roi. Je vais repartir ! â Ne pars pas, rĂ©pondit le roi qui Ă©tait si fier dâavoir un sujet. Ne pars pas, je te fais ministre ! â Ministre de quoi ? â De⊠de la justice ! â Mais il nây a personne Ă juger ! â On ne sait pas, lui dit le roi. Je nâai pas fait encore le tour de mon royaume. Je suis trĂšs vieux, je nâai pas de place pour un carrosse, et ça me fatigue de marcher. â Oh ! Mais jâai dĂ©jĂ vu, dit le petit prince qui se pencha pour jeter encore un coup dâĆil sur lâautre cĂŽtĂ© de la planĂšte. Il nây a personne lĂ -bas non plus⊠â Tu te jugeras donc toi-mĂȘme, lui rĂ©pondit le roi. Câest le plus difficile. Il est bien plus difficile de se juger soi-mĂȘme que de juger autrui. Si tu rĂ©ussis Ă bien te juger, câest que tu es un vĂ©ritable sage. â Moi, dit le petit prince, je puis me juger moi-mĂȘme nâimporte oĂč. Je nâai pas besoin dâhabiter ici. â Hem ! Hem ! dit le roi, je crois bien que sur ma planĂšte il y a quelque part un vieux rat. Je lâentends la nuit. Tu pourras juger ce vieux rat. Tu le condamneras Ă mort de temps en temps. Ainsi sa vie dĂ©pendra de ta justice. Mais tu le gracieras chaque fois pour lâĂ©conomiser. Il nây en a quâun. â Moi, rĂ©pondit le petit prince, je nâaime pas condamner Ă mort, et je crois bien que je mâen vais. â Non, dit le roi. Mais le petit prince, ayant achevĂ© ses prĂ©paratifs, ne voulut point peiner le vieux monarque â Si Votre MajestĂ© dĂ©sirait ĂȘtre obĂ©ie ponctuellement, elle pourrait me donner un ordre raisonnable. Elle pourrait mâordonner, par exemple, de partir avant une minute. Il me semble que les conditions sont favorables⊠Le roi nâayant rien rĂ©pondu, le petit prince hĂ©sita dâabord, puis, avec un soupir, prit le dĂ©part. â Je te fais mon ambassadeur, se hĂąta alors de crier le roi. Il avait un grand air dâautoritĂ©. Les grandes personnes sont bien Ă©tranges », se dit le petit prince, en lui-mĂȘme, durant son voyage. CHAPITRE XI La seconde planĂšte Ă©tait habitĂ©e par un vaniteux â Ah ! Ah ! VoilĂ la visite dâun admirateur ! sâĂ©cria de loin le vaniteux dĂšs quâil aperçut le petit prince. Car, pour les vaniteux, les autres hommes sont des admirateurs. â Bonjour, dit le petit prince. Vous avez un drĂŽle de chapeau. â Câest pour saluer, lui rĂ©pondit le vaniteux. Câest pour saluer quand on mâacclame. Malheureusement il ne passe jamais personne par ici. â Ah oui ? dit le petit prince qui ne comprit pas. â Frappe tes mains lâune contre lâautre, conseilla donc le vaniteux. Le petit prince frappa ses mains lâune contre lâautre. Le vaniteux salua modestement en soulevant son chapeau. Ăa câest plus amusant que la visite au roi », se dit en lui-mĂȘme le petit prince. Et il recommença de frapper ses mains lâune contre lâautre. Le vaniteux recommença de saluer en soulevant son chapeau. AprĂšs cinq minutes dâexercice le petit prince se fatigua de la monotonie du jeu â Et, pour que le chapeau tombe, demanda-t-il, que faut-il faire ? Mais le vaniteux ne lâentendit pas. Les vaniteux nâentendent jamais que les louanges. â Est-ce que tu mâadmires vraiment beaucoup ? demanda-t-il au petit prince. â Quâest-ce que signifie admirer ? â Admirer signifie reconnaĂźtre que je suis lâhomme le plus beau, le mieux habillĂ©, le plus riche et le plus intelligent de la planĂšte. â Mais tu es seul sur ta planĂšte ! â Fais-moi ce plaisir. Admire-moi quand mĂȘme ! â Je tâadmire, dit le petit prince, en haussant un peu les Ă©paules, mais en quoi cela peut-il bien tâintĂ©resser ? Et le petit prince sâen fut. Les grandes personnes sont dĂ©cidĂ©ment bien bizarres », se dit-il simplement en lui-mĂȘme durant son voyage. CHAPITRE XII La planĂšte suivante Ă©tait habitĂ©e par un buveur. Cette visite fut trĂšs courte, mais elle plongea le petit prince dans une grande mĂ©lancolie â Que fais-tu lĂ ? dit-il au buveur, quâil trouva installĂ© en silence devant une collection de bouteilles vides et une collection de bouteilles pleines. â Je bois, rĂ©pondit le buveur, dâun air lugubre. â Pourquoi bois-tu ? lui demanda le petit prince. â Pour oublier, rĂ©pondit le buveur. â Pour oublier quoi ? sâenquit le petit prince qui dĂ©jĂ le plaignait. â Pour oublier que jâai honte, avoua le buveur en baissant la tĂȘte. â Honte de quoi ? sâinforma le petit prince qui dĂ©sirait le secourir. â Honte de boire ! acheva le buveur qui sâenferma dĂ©finitivement dans le silence. Et le petit prince sâen fut, perplexe. Les grandes personnes sont dĂ©cidĂ©ment trĂšs trĂšs bizarres », se disait-il en lui-mĂȘme durant le voyage. CHAPITRE XIII La quatriĂšme planĂšte Ă©tait celle du businessman. Cet homme Ă©tait si occupĂ© quâil ne leva mĂȘme pas la tĂȘte Ă lâarrivĂ©e du petit prince. â Bonjour, lui dit celui-ci. Votre cigarette est Ă©teinte. â Trois et deux font cinq. Cinq et sept douze. Douze et trois quinze. Bonjour. Quinze et sept vingt-deux. Vingt-deux et six vingt-huit. Pas le temps de la rallumer. Vingt-six et cinq trente et un. Ouf ! Ăa fait donc cinq cent un millions six cent vingt-deux mille sept cent trente et un. â Cinq cents millions de quoi ? â Hein ? Tu es toujours lĂ ? Cinq cent un millions de⊠je ne sais plus⊠Jâai tellement de travail ! Je suis sĂ©rieux, moi, je ne mâamuse pas Ă des balivernes ! Deux et cinq sept⊠â Cinq cent un millions de quoi ? rĂ©pĂ©ta le petit prince qui jamais de sa vie, nâavait renoncĂ© Ă une question, une fois quâil lâavait posĂ©e. Le businessman leva la tĂȘte â Depuis cinquante-quatre ans que jâhabite cette planĂšte-ci, je nâai Ă©tĂ© dĂ©rangĂ© que trois fois. La premiĂšre fois çâa Ă©tĂ©, il y a vingt-deux ans, par un hanneton qui Ă©tait tombĂ© Dieu sait dâoĂč. Il rĂ©pandait un bruit Ă©pouvantable, et jâai fait quatre erreurs dans une addition. La seconde fois çâa Ă©tĂ©, il y a onze ans, par une crise de rhumatisme. Je manque dâexercice. Je nâai pas le temps de flĂąner. Je suis sĂ©rieux, moi. La troisiĂšme fois⊠la voici ! Je disais donc cinq cent un millions⊠â Millions de quoi ? Le businessman comprit quâil nâĂ©tait point dâespoir de paix â Millions de ces petites choses que lâon voit quelquefois dans le ciel. â Des mouches ? â Mais non, des petites choses qui brillent. â Des abeilles ? â Mais non. Des petites choses dorĂ©es qui font rĂȘvasser les fainĂ©ants. Mais je suis sĂ©rieux, moi ! Je nâai pas le temps de rĂȘvasser. â Ah ! des Ă©toiles ? â Câest bien ça. Des Ă©toiles. â Et que fais-tu de cinq cents millions dâĂ©toiles ? â Cinq cent un millions six cent vingt-deux mille sept cent trente et un. Je suis sĂ©rieux, moi, je suis prĂ©cis. â Et que fais-tu de ces Ă©toiles ? â Ce que jâen fais ? â Oui. â Rien. Je les possĂšde. â Tu possĂšdes les Ă©toiles ? â Oui. â Mais jâai dĂ©jĂ vu un roi qui⊠â Les rois ne possĂšdent pas. Ils rĂšgnent » sur. Câest trĂšs diffĂ©rent. â Et Ă quoi cela te sert-il de possĂ©der les Ă©toiles ? â Ăa me sert Ă ĂȘtre riche. â Et Ă quoi cela te sert-il dâĂȘtre riche ? â Ă acheter dâautres Ă©toiles, si quelquâun en trouve. Celui-lĂ , se dit en lui-mĂȘme le petit prince, il raisonne un peu comme mon ivrogne. » Cependant il posa encore des questions â Comment peut-on possĂ©der les Ă©toiles ? â Ă qui sont-elles ? riposta, grincheux, le businessman. â Je ne sais pas. Ă personne. â Alors elles sont Ă moi, car jây ai pensĂ© le premier. â Ăa suffit ? â Bien sĂ»r. Quand tu trouves un diamant qui nâest Ă personne, il est Ă toi. Quand tu trouves une Ăźle qui nâest Ă personne, elle est Ă toi. Quand tu as une idĂ©e le premier, tu la fais breveter elle est Ă toi. Et moi je possĂšde les Ă©toiles, puisque jamais personne avant moi nâa songĂ© Ă les possĂ©der. â Ăa câest vrai, dit le petit prince. Et quâen fais-tu ? â Je les gĂšre. Je les compte et je les recompte, dit le businessman. Câest difficile. Mais je suis un homme sĂ©rieux ! Le petit prince nâĂ©tait pas satisfait encore. â Moi, si je possĂšde un foulard, je puis le mettre autour de mon cou et lâemporter. Moi, si je possĂšde une fleur, je puis cueillir ma fleur et lâemporter. Mais tu ne peux pas cueillir les Ă©toiles ! â Non, mais je puis les placer en banque. â Quâest-ce que ça veut dire ? â Ăa veut dire que jâĂ©cris sur un petit papier le nombre de mes Ă©toiles. Et puis jâenferme Ă clef ce papier-lĂ dans un tiroir. â Et câest tout ? â Ăa suffit ! Câest amusant, pensa le petit prince. Câest assez poĂ©tique. Mais ce nâest pas trĂšs sĂ©rieux. » Le petit prince avait sur les choses sĂ©rieuses des idĂ©es trĂšs diffĂ©rentes des idĂ©es des grandes personnes. â Moi, dit-il encore, je possĂšde une fleur que jâarrose tous les jours. Je possĂšde trois volcans que je ramone toutes les semaines. Car je ramone aussi celui qui est Ă©teint. On ne sait jamais. Câest utile Ă mes volcans, et câest utile Ă ma fleur, que je les possĂšde. Mais tu nâes pas utile aux Ă©toiles⊠Le businessman ouvrit la bouche mais ne trouva rien Ă rĂ©pondre, et le petit prince sâen fut. Les grandes personnes sont dĂ©cidĂ©ment tout Ă fait extraordinaires », se disait-il simplement en lui-mĂȘme durant le voyage. CHAPITRE XIV La cinquiĂšme planĂšte Ă©tait trĂšs curieuse. CâĂ©tait la plus petite de toutes. Il y avait lĂ juste assez de place pour loger un rĂ©verbĂšre et un allumeur de rĂ©verbĂšres. Le petit prince ne parvenait pas Ă sâexpliquer Ă quoi pouvaient servir, quelque part dans le ciel, sur une planĂšte sans maison, ni population, un rĂ©verbĂšre et un allumeur de rĂ©verbĂšres. Cependant il se dit en lui-mĂȘme Peut-ĂȘtre bien que cet homme est absurde. Cependant il est moins absurde que le roi, que le vaniteux, que le businessman et que le buveur. Au moins son travail a-t-il un sens. Quand il allume son rĂ©verbĂšre, câest comme sâil faisait naĂźtre une Ă©toile de plus, ou une fleur. Quand il Ă©teint son rĂ©verbĂšre, ça endort la fleur ou lâĂ©toile. Câest une occupation trĂšs jolie. Câest vĂ©ritablement utile puisque câest joli. » Lorsquâil aborda la planĂšte il salua respectueusement lâallumeur â Bonjour. Pourquoi viens-tu dâĂ©teindre ton rĂ©verbĂšre ? â Câest la consigne, rĂ©pondit lâallumeur. Bonjour. â Quâest-ce que la consigne ? â Câest dâĂ©teindre mon rĂ©verbĂšre. Bonsoir. Et il le ralluma. â Mais pourquoi viens-tu de le rallumer ? â Câest la consigne, rĂ©pondit lâallumeur. â Je ne comprends pas, dit le petit prince. â Il nây a rien Ă comprendre, dit lâallumeur. La consigne câest la consigne. Bonjour. Et il Ă©teignit son rĂ©verbĂšre. Puis il sâĂ©pongea le front avec un mouchoir Ă carreaux rouges. â Je fais lĂ un mĂ©tier terrible. CâĂ©tait raisonnable autrefois. JâĂ©teignais le matin et jâallumais le soir. Jâavais le reste du jour pour me reposer, et le reste de la nuit pour dormir⊠â Et, depuis cette Ă©poque, la consigne a changĂ© ? â La consigne nâa pas changĂ©, dit lâallumeur. Câest bien lĂ le drame ! La planĂšte dâannĂ©e en annĂ©e a tournĂ© de plus en plus vite, et la consigne nâa pas changĂ© ! â Alors ? dit le petit prince. â Alors maintenant quâelle fait un tour par minute, je nâai plus une seconde de repos. Jâallume et jâĂ©teins une fois par minute ! â Ăa câest drĂŽle ! Les jours chez toi durent une minute ! â Ce nâest pas drĂŽle du tout, dit lâallumeur. Ăa fait dĂ©jĂ un mois que nous parlons ensemble. â Un mois ? â Oui. Trente minutes. Trente jours ! Bonsoir. Et il ralluma son rĂ©verbĂšre. Le petit prince le regarda et il aima cet allumeur qui Ă©tait tellement fidĂšle Ă la consigne. Il se souvint des couchers de soleil que lui-mĂȘme allait autrefois chercher, en tirant sa chaise. Il voulut aider son ami â Tu sais⊠je connais un moyen de te reposer quand tu voudras⊠â Je veux toujours, dit lâallumeur. Car on peut ĂȘtre, Ă la fois, fidĂšle et paresseux. Le petit prince poursuivit â Ta planĂšte est tellement petite que tu en fais le tour en trois enjambĂ©es. Tu nâas quâĂ marcher assez lentement pour rester toujours au soleil. Quand tu voudras te reposer tu marcheras⊠et le jour durera aussi longtemps que tu voudras. â Ăa ne mâavance pas Ă grandâchose, dit lâallumeur. Ce que jâaime dans la vie, câest dormir. â Ce nâest pas de chance, dit le petit prince. â Ce nâest pas de chance, dit lâallumeur. Bonjour. Et il Ă©teignit son rĂ©verbĂšre. Celui-lĂ , se dit le petit prince, tandis quâil poursuivait plus loin son voyage, celui-lĂ serait mĂ©prisĂ© par tous les autres, par le roi, par le vaniteux, par le buveur, par le businessman. Cependant câest le seul qui ne me paraisse pas ridicule. Câest, peut-ĂȘtre, parce quâil sâoccupe dâautre chose que de soi-mĂȘme. » Il eut un soupir de regret et se dit encore Celui-lĂ est le seul dont jâeusse pu faire mon ami. Mais sa planĂšte est vraiment trop petite. Il nây a pas de place pour deux⊠» Ce que le petit prince nâosait pas sâavouer, câest quâil regrettait cette planĂšte bĂ©nie Ă cause, surtout, des mille quatre cent quarante couchers de soleil par vingt-quatre heures ! CHAPITRE XV La sixiĂšme planĂšte Ă©tait une planĂšte dix fois plus vaste. Elle Ă©tait habitĂ©e par un vieux Monsieur qui Ă©crivait dâĂ©normes livres. â Tiens ! voilĂ un explorateur ! sâĂ©cria-t-il, quand il aperçut le petit prince. Le petit prince sâassit sur la table et souffla un peu. Il avait dĂ©jĂ tant voyagĂ© ! â DâoĂč viens-tu ? lui dit le vieux Monsieur. â Quel est ce gros livre ? dit le petit prince. Que faites-vous ici ? â Je suis gĂ©ographe, dit le vieux Monsieur. â Quâest-ce quâun gĂ©ographe ? â Câest un savant qui connaĂźt oĂč se trouvent les mers, les fleuves, les villes, les montagnes et les dĂ©serts. â Ăa câest bien intĂ©ressant, dit le petit prince. Ăa câest enfin un vĂ©ritable mĂ©tier ! Et il jeta un coup dâĆil autour de lui sur la planĂšte du gĂ©ographe. Il nâavait jamais vu encore une planĂšte aussi majestueuse. â Elle est bien belle, votre planĂšte. Est-ce quâil y a des ocĂ©ans ? â Je ne puis pas le savoir, dit le gĂ©ographe. â Ah ! Le petit prince Ă©tait déçu. Et des montagnes ? â Je ne puis pas le savoir, dit le gĂ©ographe. â Et des villes et des fleuves et des dĂ©serts ? â Je ne puis pas le savoir non plus, dit le gĂ©ographe. â Mais vous ĂȘtes gĂ©ographe ! â Câest exact, dit le gĂ©ographe, mais je ne suis pas explorateur. Je manque absolument dâexplorateurs. Ce nâest pas le gĂ©ographe qui va faire le compte des villes, des fleuves, des montagnes, des mers, des ocĂ©ans et des dĂ©serts. Le gĂ©ographe est trop important pour flĂąner. Il ne quitte pas son bureau. Mais il y reçoit les explorateurs. Il les interroge, et il prend en note leurs souvenirs. Et si les souvenirs de lâun dâentre eux lui paraissent intĂ©ressants, le gĂ©ographe fait faire une enquĂȘte sur la moralitĂ© de lâexplorateur. â Pourquoi ça ? â Parce quâun explorateur qui mentirait entraĂźnerait des catastrophes dans les livres de gĂ©ographie. Et aussi un explorateur qui boirait trop. â Pourquoi ça ? fit le petit prince. â Parce que les ivrognes voient double. Alors le gĂ©ographe noterait deux montagnes, lĂ oĂč il nây en a quâune seule. â Je connais quelquâun, dit le petit prince, qui serait mauvais explorateur. â Câest possible. Donc, quand la moralitĂ© de lâexplorateur paraĂźt bonne, on fait une enquĂȘte sur sa dĂ©couverte. â On va voir ? â Non. Câest trop compliquĂ©. Mais on exige de lâexplorateur quâil fournisse des preuves. Sâil sâagit par exemple de la dĂ©couverte dâune grosse montagne, on exige quâil en rapporte de grosses pierres. Le gĂ©ographe soudain sâĂ©mut. â Mais toi, tu viens de loin ! Tu es explorateur ! Tu vas me dĂ©crire ta planĂšte ! Et le gĂ©ographe, ayant ouvert son registre, tailla son crayon. On note dâabord au crayon les rĂ©cits des explorateurs. On attend, pour noter Ă lâencre, que lâexplorateur ait fourni des preuves. â Alors ? interrogea le gĂ©ographe. â Oh ! chez moi, dit le petit prince, ce nâest pas trĂšs intĂ©ressant, câest tout petit. Jâai trois volcans. Deux volcans en activitĂ©, et un volcan Ă©teint. Mais on ne sait jamais. â On ne sait jamais, dit le gĂ©ographe. â Jâai aussi une fleur. â Nous ne notons pas les fleurs, dit le gĂ©ographe. â Pourquoi ça ! câest le plus joli ! â Parce que les fleurs sont Ă©phĂ©mĂšres. â Quâest-ce que signifie Ă©phĂ©mĂšre » ? â Les gĂ©ographies, dit le gĂ©ographe, sont les livres les plus prĂ©cieux de tous les livres. Elles ne se dĂ©modent jamais. Il est trĂšs rare quâune montagne change de place. Il est trĂšs rare quâun ocĂ©an se vide de son eau. Nous Ă©crivons des choses Ă©ternelles. â Mais les volcans Ă©teints peuvent se rĂ©veiller, interrompit le petit prince. Quâest-ce que signifie Ă©phĂ©mĂšre » ? â Que les volcans soient Ă©teints ou soient Ă©veillĂ©s, ça revient au mĂȘme pour nous autres, dit le gĂ©ographe. Ce qui compte pour nous, câest la montagne. Elle ne change pas. â Mais quâest-ce que signifie Ă©phĂ©mĂšre » ? rĂ©pĂ©ta le petit prince qui, de sa vie, nâavait renoncĂ© Ă une question, une fois quâil lâavait posĂ©e. â Ăa signifie qui est menacĂ© de disparition prochaine ». â Ma fleur est menacĂ©e de disparition prochaine ? â Bien sĂ»r. Ma fleur est Ă©phĂ©mĂšre, se dit le petit prince, et elle nâa que quatre Ă©pines pour se dĂ©fendre contre le monde ! Et je lâai laissĂ©e toute seule chez moi ! Ce fut lĂ son premier mouvement de regret. Mais il reprit courage â Que me conseillez-vous dâaller visiter ? demanda-t-il. â La planĂšte Terre, lui rĂ©pondit le gĂ©ographe. Elle a une bonne rĂ©putation⊠Et le petit prince sâen fut, songeant Ă sa fleur. CHAPITRE XVI La septiĂšme planĂšte fut donc la Terre. La Terre nâest pas une planĂšte quelconque ! On y compte cent onze rois en nâoubliant pas, bien sĂ»r, les rois nĂšgres, sept mille gĂ©ographes, neuf cent mille businessmen, sept millions et demi dâivrognes, trois cent onze millions de vaniteux, câest-Ă -dire environ deux milliards de grandes personnes. Pour vous donner une idĂ©e des dimensions de la Terre je vous dirai quâavant lâinvention de lâĂ©lectricitĂ© on y devait entretenir, sur lâensemble des six continents, une vĂ©ritable armĂ©e de quatre cent soixante-deux mille cinq cent onze allumeurs de rĂ©verbĂšres. Vu dâun peu loin ça faisait un effet splendide. Les mouvements de cette armĂ©e Ă©taient rĂ©glĂ©s comme ceux dâun ballet dâopĂ©ra. Dâabord venait le tour des allumeurs de rĂ©verbĂšres de Nouvelle-ZĂ©lande et dâAustralie. Puis ceux-ci, ayant allumĂ© leurs lampions, sâen allaient dormir. Alors entraient Ă leur tour dans la danse les allumeurs de rĂ©verbĂšres de Chine et de SibĂ©rie. Puis eux aussi sâescamotaient dans les coulisses. Alors venait le tour des allumeurs de rĂ©verbĂšres de Russie et des Indes. Puis de ceux dâAfrique et dâEurope. Puis de ceux dâAmĂ©rique du Sud. Puis de ceux dâAmĂ©rique du Nord. Et jamais ils ne se trompaient dans leur ordre dâentrĂ©e en scĂšne. CâĂ©tait grandiose. Seuls, lâallumeur de lâunique rĂ©verbĂšre du pĂŽle Nord, et son confrĂšre de lâunique rĂ©verbĂšre du pĂŽle Sud, menaient des vies dâoisivetĂ© et de nonchalance ils travaillaient deux fois par an. CHAPITRE XVII Quand on veut faire de lâesprit, il arrive que lâon mente un peu. Je nâai pas Ă©tĂ© trĂšs honnĂȘte en vous parlant des allumeurs de rĂ©verbĂšres. Je risque de donner une fausse idĂ©e de notre planĂšte Ă ceux qui ne la connaissent pas. Les hommes occupent trĂšs peu de place sur la terre. Si les deux milliards dâhabitants qui peuplent la terre se tenaient debout et un peu serrĂ©s, comme pour un meeting, ils logeraient aisĂ©ment sur une place publique de vingt milles de long sur vingt milles de large. On pourrait entasser lâhumanitĂ© sur le moindre petit Ăźlot du Pacifique. Les grandes personnes, bien sĂ»r, ne vous croiront pas. Elles sâimaginent tenir beaucoup de place. Elles se voient importantes comme des baobabs. Vous leur conseillerez donc de faire le calcul. Elles adorent les chiffres ça leur plaira. Mais ne perdez pas votre temps Ă ce pensum. Câest inutile. Vous avez confiance en moi. Le petit prince, une fois sur terre, fut donc bien surpris de ne voir personne. Il avait dĂ©jĂ peur de sâĂȘtre trompĂ© de planĂšte, quand un anneau couleur de lune remua dans le sable. â Bonne nuit, fit le petit prince Ă tout hasard. â Bonne nuit, fit le serpent. â Sur quelle planĂšte suis-je tombĂ© ? demanda le petit prince. â Sur la Terre, en Afrique, rĂ©pondit le serpent. â Ah !⊠Il nây a donc personne sur la Terre ? â Ici câest le dĂ©sert. Il nây a personne dans les dĂ©serts. La Terre est grande, dit le serpent. Le petit prince sâassit sur une pierre et leva les yeux vers le ciel â Je me demande, dit-il, si les Ă©toiles sont Ă©clairĂ©es afin que chacun puisse un jour retrouver la sienne. Regarde ma planĂšte. Elle est juste au-dessus de nous⊠Mais comme elle est loin ! â Elle est belle, dit le serpent. Que viens-tu faire ici ? â Jâai des difficultĂ©s avec une fleur, dit le petit prince. â Ah ! fit le serpent. Et ils se turent. â OĂč sont les hommes ? reprit enfin le petit prince. On est un peu seul dans le dĂ©sert⊠â On est seul aussi chez les hommes, dit le serpent. Le petit prince le regarda longtemps â Tu es une drĂŽle de bĂȘte, lui dit-il enfin, mince comme un doigt⊠â Mais je suis plus puissant que le doigt dâun roi, dit le serpent. Le petit prince eut un sourire â Tu nâes pas bien puissant⊠tu nâas mĂȘme pas de pattes⊠tu ne peux mĂȘme pas voyager⊠â Je puis tâemporter plus loin quâun navire, dit le serpent. Il sâenroula autour de la cheville du petit prince, comme un bracelet dâor â Celui que je touche, je le rends Ă la terre dont il est sorti, dit-il encore. Mais tu es pur et tu viens dâune Ă©toile⊠Le petit prince ne rĂ©pondit rien. â Tu me fais pitiĂ©, toi si faible, sur cette Terre de granit. Je puis tâaider un jour si tu regrettes trop ta planĂšte. Je puis⊠â Oh ! Jâai trĂšs bien compris, fit le petit prince, mais pourquoi parles-tu toujours par Ă©nigmes ? â Je les rĂ©sous toutes, dit le serpent. Et ils se turent. CHAPITRE XVIII Le petit prince traversa le dĂ©sert et ne rencontra quâune fleur. Une fleur Ă trois pĂ©tales, une fleur de rien du tout⊠â Bonjour, dit le petit prince. â Bonjour, dit la fleur. â OĂč sont les hommes ? demanda poliment le petit prince. La fleur, un jour, avait vu passer une caravane â Les hommes ? Il en existe, je crois, six ou sept. Je les ai aperçus il y a des annĂ©es. Mais on ne sait jamais oĂč les trouver. Le vent les promĂšne. Ils manquent de racines, ça les gĂȘne beaucoup. â Adieu, fit le petit prince. â Adieu, dit la fleur. CHAPITRE XIX Le petit prince fit lâascension dâune haute montagne. Les seules montagnes quâil eĂ»t jamais connues Ă©taient les trois volcans qui lui arrivaient au genou. Et il se servait du volcan Ă©teint comme dâun tabouret. Dâune montagne haute comme celle-ci, se dit-il donc, jâapercevrai dâun coup toute la planĂšte et tous les hommes⊠» Mais il nâaperçut rien que des aiguilles de roc bien aiguisĂ©es. â Bonjour, dit-il Ă tout hasard. â Bonjour⊠Bonjour⊠Bonjour⊠rĂ©pondit lâĂ©cho. â Qui ĂȘtes-vous ? dit le petit prince. â Qui ĂȘtes-vous⊠qui ĂȘtes-vous⊠qui ĂȘtes-vous⊠rĂ©pondit lâĂ©cho. â Soyez mes amis, je suis seul, dit-il. â Je suis seul⊠je suis seul⊠je suis seul⊠rĂ©pondit lâĂ©cho. Quelle drĂŽle de planĂšte ! pensa-t-il alors. Elle est toute sĂšche, et toute pointue et toute salĂ©e. Et les hommes manquent dâimagination. Ils rĂ©pĂštent ce quâon leur dit⊠Chez moi jâavais une fleur elle parlait toujours la premiĂšre⊠» CHAPITRE XX Mais il arriva que le petit prince, ayant longtemps marchĂ© Ă travers les sables, les rocs et les neiges, dĂ©couvrit enfin une route. Et les routes vont toutes chez les hommes. â Bonjour, dit-il. CâĂ©tait un jardin fleuri de roses. â Bonjour, dirent les roses. Le petit prince les regarda. Elles ressemblaient toutes Ă sa fleur. â Qui ĂȘtes-vous ? leur demanda-t-il, stupĂ©fait. â Nous sommes des roses, dirent les roses. â Ah ! fit le petit prince⊠Et il se sentit trĂšs malheureux. Sa fleur lui avait racontĂ© quâelle Ă©tait seule de son espĂšce dans lâunivers. Et voici quâil en Ă©tait cinq mille, toutes semblables, dans un seul jardin ! Elle serait bien vexĂ©e, se dit-il, si elle voyait ça⊠elle tousserait Ă©normĂ©ment et ferait semblant de mourir pour Ă©chapper au ridicule. Et je serais bien obligĂ© de faire semblant de la soigner, car, sinon, pour mâhumilier moi aussi, elle se laisserait vraiment mourir⊠» Puis il se dit encore Je me croyais riche dâune fleur unique, et je ne possĂšde quâune rose ordinaire. Ăa et mes trois volcans qui mâarrivent au genou, et dont lâun, peut-ĂȘtre, est Ă©teint pour toujours, ça ne fait pas de moi un bien grand prince⊠» Et, couchĂ© dans lâherbe, il pleura. CHAPITRE XXI Câest alors quâapparut le renard. â Bonjour, dit le renard. â Bonjour, rĂ©pondit poliment le petit prince, qui se retourna mais ne vit rien. â Je suis lĂ , dit la voix, sous le pommier. â Qui es-tu ? dit le petit prince. Tu es bien joli⊠â Je suis un renard, dit le renard. â Viens jouer avec moi, lui proposa le petit prince. Je suis tellement triste⊠â Je ne puis pas jouer avec toi, dit le renard. Je ne suis pas apprivoisĂ©. â Ah ! pardon, fit le petit prince. Mais, aprĂšs rĂ©flexion, il ajouta â Quâest-ce que signifie apprivoiser » ? â Tu nâes pas dâici, dit le renard, que cherches-tu ? â Je cherche les hommes, dit le petit prince. Quâest-ce que signifie apprivoiser » ? â Les hommes, dit le renard, ils ont des fusils et ils chassent. Câest bien gĂȘnant ! Ils Ă©lĂšvent aussi des poules. Câest leur seul intĂ©rĂȘt. Tu cherches des poules ? â Non, dit le petit prince. Je cherche des amis. Quâest-ce que signifie apprivoiser » ? â Câest une chose trop oubliĂ©e, dit le renard. Ăa signifie crĂ©er des liens⊠» â CrĂ©er des liens ? â Bien sĂ»r, dit le renard. Tu nâes encore pour moi quâun petit garçon tout semblable Ă cent mille petits garçons. Et je nâai pas besoin de toi. Et tu nâas pas besoin de moi non plus. Je ne suis pour toi quâun renard semblable Ă cent mille renards. Mais, si tu mâapprivoises, nous aurons besoin lâun de lâautre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde⊠â Je commence Ă comprendre, dit le petit prince. Il y a une fleur⊠je crois quâelle mâa apprivoisé⊠â Câest possible, dit le renard. On voit sur la Terre toutes sortes de choses⊠â Oh ! ce nâest pas sur la Terre, dit le petit prince. Le renard parut trĂšs intriguĂ© â Sur une autre planĂšte ? â Oui. â Il y a des chasseurs, sur cette planĂšte-lĂ ? â Non. â Ăa, câest intĂ©ressant ! Et des poules ? â Non. â Rien nâest parfait, soupira le renard. Mais le renard revint Ă son idĂ©e â Ma vie est monotone. Je chasse les poules, les hommes me chassent. Toutes les poules se ressemblent, et tous les hommes se ressemblent. Je mâennuie donc un peu. Mais, si tu mâapprivoises, ma vie sera comme ensoleillĂ©e. Je connaĂźtrai un bruit de pas qui sera diffĂ©rent de tous les autres. Les autres pas me font rentrer sous terre. Le tien mâappellera hors du terrier, comme une musique. Et puis regarde ! Tu vois, lĂ -bas, les champs de blĂ© ? Je ne mange pas de pain. Le blĂ© pour moi est inutile. Les champs de blĂ© ne me rappellent rien. Et ça, câest triste ! Mais tu as des cheveux couleur dâor. Alors ce sera merveilleux quand tu mâauras apprivoisĂ© ! Le blĂ©, qui est dorĂ©, me fera souvenir de toi. Et jâaimerai le bruit du vent dans le blé⊠Le renard se tut et regarda longtemps le petit prince â Sâil te plaĂźt⊠apprivoise-moi ! dit-il. â Je veux bien, rĂ©pondit le petit prince, mais je nâai pas beaucoup de temps. Jâai des amis Ă dĂ©couvrir et beaucoup de choses Ă connaĂźtre. â On ne connaĂźt que les choses que lâon apprivoise, dit le renard. Les hommes nâont plus le temps de rien connaĂźtre. Ils achĂštent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il nâexiste point de marchands dâamis, les hommes nâont plus dâamis. Si tu veux un ami, apprivoise-moi ! â Que faut-il faire ? dit le petit prince. â Il faut ĂȘtre trĂšs patient, rĂ©pondit le renard. Tu tâassoiras dâabord un peu loin de moi, comme ça, dans lâherbe. Je te regarderai du coin de lâĆil et tu ne diras rien. Le langage est source de malentendus. Mais, chaque jour, tu pourras tâasseoir un peu plus prĂšs⊠Le lendemain revint le petit prince. â Il eĂ»t mieux valu revenir Ă la mĂȘme heure, dit le renard. Si tu viens, par exemple, Ă quatre heures de lâaprĂšs-midi, dĂšs trois heures je commencerai dâĂȘtre heureux. Plus lâheure avancera, plus je me sentirai heureux. Ă quatre heures, dĂ©jĂ , je mâagiterai et mâinquiĂ©terai ; je dĂ©couvrirai le prix du bonheur ! Mais si tu viens nâimporte quand, je ne saurai jamais Ă quelle heure mâhabiller le cĆur⊠Il faut des rites. â Quâest-ce quâun rite ? dit le petit prince. â Câest aussi quelque chose de trop oubliĂ©, dit le renard. Câest ce qui fait quâun jour est diffĂ©rent des autres jours, une heure, des autres heures. Il y a un rite, par exemple, chez mes chasseurs. Ils dansent le jeudi avec les filles du village. Alors le jeudi est jour merveilleux ! Je vais me promener jusquâĂ la vigne. Si les chasseurs dansaient nâimporte quand, les jours se ressembleraient tous, et je nâaurais point de vacances. Ainsi le petit prince apprivoisa le renard. Et quand lâheure du dĂ©part fut proche â Ah ! dit le renard⊠Je pleurerai. â Câest ta faute, dit le petit prince, je ne te souhaitais point de mal, mais tu as voulu que je tâapprivoise⊠â Bien sĂ»r, dit le renard. â Mais tu vas pleurer ! dit le petit prince. â Bien sĂ»r, dit le renard. â Alors tu nây gagnes rien ! â Jây gagne, dit le renard, Ă cause de la couleur du blĂ©. Puis il ajouta â Va revoir les roses. Tu comprendras que la tienne est unique au monde. Tu reviendras me dire adieu, et je te ferai cadeau dâun secret. Le petit prince sâen fut revoir les roses. â Vous nâĂȘtes pas du tout semblables Ă ma rose, vous nâĂȘtes rien encore, leur dit-il. Personne ne vous a apprivoisĂ©es et vous nâavez apprivoisĂ© personne. Vous ĂȘtes comme Ă©tait mon renard. Ce nâĂ©tait quâun renard semblable Ă cent mille autres. Mais jâen ai fait mon ami, et il est maintenant unique au monde. Et les roses Ă©taient bien gĂȘnĂ©es. â Vous ĂȘtes belles, mais vous ĂȘtes vides, leur dit-il encore. On ne peut pas mourir pour vous. Bien sĂ»r, ma rose Ă moi, un passant ordinaire croirait quâelle vous ressemble. Mais Ă elle seule elle est plus importante que vous toutes, puisque câest elle que jâai arrosĂ©e. Puisque câest elle que jâai mise sous globe. Puisque câest elle que jâai abritĂ©e par le paravent. Puisque câest elle dont jâai tuĂ© les chenilles sauf les deux ou trois pour les papillons. Puisque câest elle que jâai Ă©coutĂ©e se plaindre, ou se vanter, ou mĂȘme quelquefois se taire. Puisque câest ma rose. Et il revint vers le renard â Adieu, dit-il⊠â Adieu, dit le renard. Voici mon secret. Il est trĂšs simple on ne voit bien quâavec le cĆur. Lâessentiel est invisible pour les yeux. â Lâessentiel est invisible pour les yeux, rĂ©pĂ©ta le petit prince, afin de se souvenir. â Câest le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante. â Câest le temps que jâai perdu pour ma rose⊠fit le petit prince, afin de se souvenir. â Les hommes ont oubliĂ© cette vĂ©ritĂ©, dit le renard. Mais tu ne dois pas lâoublier. Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisĂ©. Tu es responsable de ta rose⊠â Je suis responsable de ma rose⊠rĂ©pĂ©ta le petit prince, afin de se souvenir. CHAPITRE XXII â Bonjour, dit le petit prince. â Bonjour, dit lâaiguilleur. â Que fais-tu ici ? dit le petit prince. â Je trie les voyageurs, par paquets de mille, dit lâaiguilleur. JâexpĂ©die les trains qui les emportent, tantĂŽt vers la droite, tantĂŽt vers la gauche. Et un rapide illuminĂ©, grondant comme le tonnerre, fit trembler la cabine dâaiguillage. â Ils sont bien pressĂ©s, dit le petit prince. Que cherchent-ils ? â Lâhomme de la locomotive lâignore lui-mĂȘme, dit lâaiguilleur. Et gronda, en sens inverse, un second rapide illuminĂ©. â Ils reviennent dĂ©jĂ ? demanda le petit prince⊠â Ce ne sont pas les mĂȘmes, dit lâaiguilleur. Câest un Ă©change. â Ils nâĂ©taient pas contents, lĂ oĂč ils Ă©taient ? â On nâest jamais content lĂ oĂč lâon est, dit lâaiguilleur. Et gronda le tonnerre dâun troisiĂšme rapide illuminĂ©. â Ils poursuivent les premiers voyageurs ? demanda le petit prince. â Ils ne poursuivent rien du tout, dit lâaiguilleur. Ils dorment lĂ -dedans, ou bien ils bĂąillent. Les enfants seuls Ă©crasent leur nez contre les vitres. â Les enfants seuls savent ce quâils cherchent, fit le petit prince. Ils perdent du temps pour une poupĂ©e de chiffons, et elle devient trĂšs importante, et si on la leur enlĂšve, ils pleurent⊠â Ils ont de la chance, dit lâaiguilleur. CHAPITRE XXIII â Bonjour, dit le petit prince. â Bonjour, dit le marchand. CâĂ©tait un marchand de pilules perfectionnĂ©es qui apaisent la soif. On en avale une par semaine et lâon nâĂ©prouve plus le besoin de boire. â Pourquoi vends-tu ça ? dit le petit prince. â Câest une grosse Ă©conomie de temps, dit le marchand. Les experts ont fait des calculs. On Ă©pargne cinquante-trois minutes par semaine. â Et que fait-on de ces cinquante-trois minutes ? â On en fait ce que lâon veut⊠Moi, se dit le petit prince, si jâavais cinquante-trois minutes Ă dĂ©penser, je marcherais tout doucement vers une fontaine⊠» CHAPITRE XXIV Nous en Ă©tions au huitiĂšme jour de ma panne dans le dĂ©sert, et jâavais Ă©coutĂ© lâhistoire du marchand en buvant la derniĂšre goutte de ma provision dâeau â Ah ! dis-je au petit prince, ils sont bien jolis, tes souvenirs, mais je nâai pas encore rĂ©parĂ© mon avion, je nâai plus rien Ă boire, et je serais heureux, moi aussi, si je pouvais marcher tout doucement vers une fontaine ! â Mon ami le renard, me dit-il⊠â Mon petit bonhomme, il ne sâagit plus du renard ! â Pourquoi ? â Parce quâon va mourir de soif⊠Il ne comprit pas mon raisonnement, il me rĂ©pondit â Câest bien dâavoir eu un ami, mĂȘme si lâon va mourir. Moi, je suis bien content dâavoir eu un ami renard⊠Il ne mesure pas le danger, me dis-je. Il nâa jamais ni faim ni soif. Un peu de soleil lui suffit⊠» Mais il me regarda et rĂ©pondit Ă ma pensĂ©e â Jâai soif aussi⊠cherchons un puits⊠Jâeus un geste de lassitude il est absurde de chercher un puits, au hasard, dans lâimmensitĂ© du dĂ©sert. Cependant nous nous mĂźmes en marche. Quand nous eĂ»mes marchĂ©, des heures, en silence, la nuit tomba, et les Ă©toiles commencĂšrent de sâĂ©clairer. Je les apercevais comme en rĂȘve, ayant un peu de fiĂšvre, Ă cause de ma soif. Les mots du petit prince dansaient dans ma mĂ©moire â Tu as donc soif, toi aussi ? lui demandai-je. Mais il ne rĂ©pondit pas Ă ma question. Il me dit simplement â Lâeau peut aussi ĂȘtre bonne pour le cĆur⊠Je ne compris pas sa rĂ©ponse mais je me tus⊠Je savais bien quâil ne fallait pas lâinterroger. Il Ă©tait fatiguĂ©. Il sâassit. Je mâassis auprĂšs de lui. Et, aprĂšs un silence, il dit encore â Les Ă©toiles sont belles, Ă cause dâune fleur que lâon ne voit pas⊠Je rĂ©pondis bien sĂ»r » et je regardai, sans parler, les plis du sable sous la lune. â Le dĂ©sert est beau, ajouta-t-il⊠Et câĂ©tait vrai. Jâai toujours aimĂ© le dĂ©sert. On sâassoit sur une dune de sable. On ne voit rien. On nâentend rien. Et cependant quelque chose rayonne en silence⊠â Ce qui embellit le dĂ©sert, dit le petit prince, câest quâil cache un puits quelque part⊠Je fus surpris de comprendre soudain ce mystĂ©rieux rayonnement du sable. Lorsque jâĂ©tais petit garçon jâhabitais une maison ancienne, et la lĂ©gende racontait quâun trĂ©sor y Ă©tait enfoui. Bien sĂ»r, jamais personne nâa su le dĂ©couvrir, ni peut-ĂȘtre mĂȘme ne lâa cherchĂ©. Mais il enchantait toute cette maison. Ma maison cachait un secret au fond de son cĆur⊠â Oui, dis-je au petit prince, quâil sâagisse de la maison, des Ă©toiles ou du dĂ©sert, ce qui fait leur beautĂ© est invisible ! â Je suis content, dit-il, que tu sois dâaccord avec mon renard. Comme le petit prince sâendormait, je le pris dans mes bras, et me remis en route. JâĂ©tais Ă©mu. Il me semblait porter un trĂ©sor fragile. Il me semblait mĂȘme quâil nây eĂ»t rien de plus fragile sur la Terre. Je regardais, Ă la lumiĂšre de la lune, ce front pĂąle, ces yeux clos, ces mĂšches de cheveux qui tremblaient au vent, et je me disais Ce que je vois lĂ nâest quâune Ă©corce. Le plus important est invisible⊠» Comme ses lĂšvres entrâouvertes Ă©bauchaient un demi-sourire je me dis encore Ce qui mâĂ©meut si fort de ce petit prince endormi, câest sa fidĂ©litĂ© pour une fleur, câest lâimage dâune rose qui rayonne en lui comme la flamme dâune lampe, mĂȘme quand il dort⊠» Et je le devinai plus fragile encore. Il faut bien protĂ©ger les lampes un coup de vent peut les Ă©teindre⊠Et, marchant ainsi, je dĂ©couvris le puits au lever du jour. CHAPITRE XXV â Les hommes, dit le petit prince, ils sâenfournent dans les rapides, mais ils ne savent plus ce quâils cherchent. Alors ils sâagitent et tournent en rond⊠Et il ajouta â Ce nâest pas la peine⊠Le puits que nous avions atteint ne ressemblait pas aux puits sahariens. Les puits sahariens sont de simples trous creusĂ©s dans le sable. Celui-lĂ ressemblait Ă un puits de village. Mais il nây avait lĂ aucun village, et je croyais rĂȘver. â Câest Ă©trange, dis-je au petit prince, tout est prĂȘt la poulie, le seau et la corde⊠Il rit, toucha la corde, fit jouer la poulie. Et la poulie gĂ©mit comme gĂ©mit une vieille girouette quand le vent a longtemps dormi. â Tu entends, dit le petit prince, nous rĂ©veillons ce puits et il chante⊠Je ne voulais pas quâil fĂźt un effort â Laisse-moi faire, lui dis-je, câest trop lourd pour toi. Lentement je hissai le seau jusquâĂ la margelle. Je lây installai bien dâaplomb. Dans mes oreilles durait le chant de la poulie et, dans lâeau qui tremblait encore, je voyais trembler le soleil. â Jâai soif de cette eau-lĂ , dit le petit prince, donne-moi Ă boire⊠Et je compris ce quâil avait cherchĂ© ! Je soulevai le seau jusquâĂ ses lĂšvres. Il but, les yeux fermĂ©s. CâĂ©tait doux comme une fĂȘte. Cette eau Ă©tait bien autre chose quâun aliment. Elle Ă©tait nĂ©e de la marche sous les Ă©toiles, du chant de la poulie, de lâeffort de mes bras. Elle Ă©tait bonne pour le cĆur, comme un cadeau. Lorsque jâĂ©tais petit garçon, la lumiĂšre de lâarbre de NoĂ«l, la musique de la messe de minuit, la douceur des sourires faisaient ainsi tout le rayonnement du cadeau de NoĂ«l que je recevais. â Les hommes de chez toi, dit le petit prince, cultivent cinq mille roses dans un mĂȘme jardin⊠et ils nây trouvent pas ce quâils cherchent⊠â Ils ne le trouvent pas, rĂ©pondis-je⊠â Et cependant ce quâils cherchent pourrait ĂȘtre trouvĂ© dans une seule rose ou un peu dâeau⊠â Bien sĂ»r, rĂ©pondis-je. Et le petit prince ajouta â Mais les yeux sont aveugles. Il faut chercher avec le cĆur. Jâavais bu. Je respirais bien. Le sable, au lever du jour, est couleur de miel. JâĂ©tais heureux aussi de cette couleur de miel. Pourquoi fallait-il que jâeusse de la peine⊠â Il faut que tu tiennes ta promesse, me dit doucement le petit prince, qui, de nouveau, sâĂ©tait assis auprĂšs de moi. â Quelle promesse ? â Tu sais⊠une museliĂšre pour mon mouton⊠je suis responsable de cette fleur ! Je sortis de ma poche mes Ă©bauches de dessin. Le petit prince les aperçut et dit en riant â Tes baobabs, ils ressemblent un peu Ă des choux⊠â Oh ! Moi qui Ă©tais si fier des baobabs ! â Ton renard⊠ses oreilles⊠elles ressemblent un peu Ă des cornes⊠et elles sont trop longues ! Et il rit encore. â Tu es injuste, petit bonhomme, je ne savais rien dessiner que les boas fermĂ©s et les boas ouverts. â Oh ! ça ira, dit-il, les enfants savent. Je crayonnai donc une museliĂšre. Et jâeus le cĆur serrĂ© en la lui donnant â Tu as des projets que jâignore⊠Mais il ne me rĂ©pondit pas. Il me dit â Tu sais, ma chute sur la Terre⊠câen sera demain lâanniversaire⊠Puis, aprĂšs un silence il dit encore â JâĂ©tais tombĂ© tout prĂšs dâici⊠Et il rougit. Et de nouveau, sans comprendre pourquoi, jâĂ©prouvai un chagrin bizarre. Cependant une question me vint â Alors ce nâest pas par hasard que, le matin oĂč je tâai connu, il y a huit jours, tu te promenais comme ça, tout seul, Ă mille milles de toutes les rĂ©gions habitĂ©es ! Tu retournais vers le point de ta chute ? Le petit prince rougit encore. Et jâajoutai, en hĂ©sitant â Ă cause, peut-ĂȘtre, de lâanniversaire ?⊠Le petit prince rougit de nouveau. Il ne rĂ©pondait jamais aux questions, mais, quand on rougit, ça signifie oui », nâest-ce pas ? â Ah ! lui dis-je, jâai peur⊠Mais il me rĂ©pondit â Tu dois maintenant travailler. Tu dois repartir vers ta machine. Je tâattends ici. Reviens demain soir⊠Mais je nâĂ©tais pas rassurĂ©. Je me souvenais du renard. On risque de pleurer un peu si lâon sâest laissĂ© apprivoiser⊠CHAPITRE XXVI Il y avait, Ă cĂŽtĂ© du puits, une ruine de vieux mur de pierre. Lorsque je revins de mon travail, le lendemain soir, jâaperçus de loin mon petit prince assis lĂ -haut, les jambes pendantes. Et je lâentendis qui parlait â Tu ne tâen souviens donc pas ? disait-il. Ce nâest pas tout Ă fait ici ! Une autre voix lui rĂ©pondit sans doute, puisquâil rĂ©pliqua â Si ! Si ! câest bien le jour, mais ce nâest pas ici lâendroit⊠Je poursuivis ma marche vers le mur. Je ne voyais ni nâentendais toujours personne. Pourtant le petit prince rĂ©pliqua de nouveau â ⊠Bien sĂ»r. Tu verras oĂč commence ma trace dans le sable. Tu nâas quâĂ mây attendre. Jây serai cette nuit. JâĂ©tais Ă vingt mĂštres du mur et je ne voyais toujours rien. Le petit prince dit encore, aprĂšs un silence â Tu as du bon venin ? Tu es sĂ»r de ne pas me faire souffrir longtemps ? Je fis halte, le cĆur serrĂ©, mais je ne comprenais toujours pas. â Maintenant va-tâen, dit-il⊠je veux redescendre ! Alors jâabaissai moi-mĂȘme les yeux vers le pied du mur, et je fis un bond ! Il Ă©tait lĂ , dressĂ© vers le petit prince, un de ces serpents jaunes qui vous exĂ©cutent en trente secondes. Tout en fouillant ma poche pour en tirer mon revolver, je pris le pas de course, mais, au bruit que je fis, le serpent se laissa doucement couler dans le sable, comme un jet dâeau qui meurt, et, sans trop se presser, se faufila entre les pierres avec un lĂ©ger bruit de mĂ©tal. Je parvins au mur juste Ă temps pour y recevoir dans les bras mon petit bonhomme de prince, pĂąle comme la neige. â Quelle est cette histoire-lĂ ! Tu parles maintenant avec les serpents ! Jâavais dĂ©fait son Ă©ternel cache-nez dâor. Je lui avais mouillĂ© les tempes et lâavais fait boire. Et maintenant je nâosais plus rien lui demander. Il me regarda gravement et mâentoura le cou de ses bras. Je sentais battre son cĆur comme celui dâun oiseau qui meurt, quand on lâa tirĂ© Ă la carabine. Il me dit â Je suis content que tu aies trouvĂ© ce qui manquait Ă ta machine. Tu vas pouvoir rentrer chez toi⊠â Comment sais-tu ! Je venais justement lui annoncer que, contre toute espĂ©rance, jâavais rĂ©ussi mon travail ! Il ne rĂ©pondit rien Ă ma question, mais il ajouta â Moi aussi, aujourdâhui, je rentre chez moi⊠Puis, mĂ©lancolique â Câest bien plus loin⊠câest bien plus difficile⊠Je sentais bien quâil se passait quelque chose dâextraordinaire. Je le serrais dans les bras comme un petit enfant, et cependant il me semblait quâil coulait verticalement dans un abĂźme sans que je pusse rien pour le retenir⊠Il avait le regard sĂ©rieux, perdu trĂšs loin â Jâai ton mouton. Et jâai la caisse pour le mouton. Et jâai la museliĂšre⊠Et il sourit avec mĂ©lancolie. Jâattendis longtemps. Je sentais quâil se rĂ©chauffait peu Ă peu â Petit bonhomme, tu as eu peur⊠Il avait eu peur, bien sĂ»r ! Mais il rit doucement â Jâaurai bien plus peur ce soir⊠De nouveau je me sentis glacĂ© par le sentiment de lâirrĂ©parable. Et je compris que je ne supportais pas lâidĂ©e de ne plus jamais entendre ce rire. CâĂ©tait pour moi comme une fontaine dans le dĂ©sert. â Petit bonhomme, je veux encore tâentendre rire⊠Mais il me dit â Cette nuit, ça fera un an. Mon Ă©toile se trouvera juste au-dessus de lâendroit oĂč je suis tombĂ© lâannĂ©e derniĂšre⊠â Petit bonhomme, nâest-ce pas que câest un mauvais rĂȘve cette histoire de serpent et de rendez-vous et dâĂ©toile⊠Mais il ne rĂ©pondit pas Ă ma question. Il me dit â Ce qui est important, ça ne se voit pas⊠â Bien sĂ»r⊠â Câest comme pour la fleur. Si tu aimes une fleur qui se trouve dans une Ă©toile, câest doux, la nuit, de regarder le ciel. Toutes les Ă©toiles sont fleuries. â Bien sĂ»r⊠â Câest comme pour lâeau. Celle que tu mâas donnĂ©e Ă boire Ă©tait comme une musique, Ă cause de la poulie et de la corde⊠tu te rappelles⊠elle Ă©tait bonne. â Bien sĂ»r⊠â Tu regarderas, la nuit, les Ă©toiles. Câest trop petit chez moi pour que je te montre oĂč se trouve la mienne. Câest mieux comme ça. Mon Ă©toile, ça sera pour toi une des Ă©toiles. Alors, toutes les Ă©toiles, tu aimeras les regarder⊠Elles seront toutes tes amies. Et puis je vais te faire un cadeau⊠Il rit encore. â Ah ! petit bonhomme, petit bonhomme jâaime entendre ce rire ! â Justement ce sera mon cadeau⊠ce sera comme pour lâeau⊠â Que veux-tu dire ? â Les gens ont des Ă©toiles qui ne sont pas les mĂȘmes. Pour les uns, qui voyagent, les Ă©toiles sont des guides. Pour dâautres elles ne sont rien que de petites lumiĂšres. Pour dâautres, qui sont savants, elles sont des problĂšmes. Pour mon businessman elles Ă©taient de lâor. Mais toutes ces Ă©toiles-lĂ se taisent. Toi, tu auras des Ă©toiles comme personne nâen a⊠â Que veux-tu dire ? â Quand tu regarderas le ciel, la nuit, puisque jâhabiterai dans lâune dâelles, puisque je rirai dans lâune dâelles, alors ce sera pour toi comme si riaient toutes les Ă©toiles. Tu auras, toi, des Ă©toiles qui savent rire ! Et il rit encore. â Et quand tu seras consolĂ© on se console toujours tu seras content de mâavoir connu. Tu seras toujours mon ami. Tu auras envie de rire avec moi. Et tu ouvriras parfois ta fenĂȘtre, comme ça, pour le plaisir⊠Et tes amis seront bien Ă©tonnĂ©s de te voir rire en regardant le ciel. Alors tu leur diras Oui, les Ă©toiles, ça me fait toujours rire ! » Et ils te croiront fou. Je tâaurai jouĂ© un bien vilain tour⊠Et il rit encore. â Ce sera comme si je tâavais donnĂ©, au lieu dâĂ©toiles, des tas de petits grelots qui savent rire⊠Et il rit encore. Puis il redevint sĂ©rieux â Cette nuit⊠tu sais⊠ne viens pas. â Je ne te quitterai pas. â Jâaurai lâair dâavoir mal⊠jâaurai un peu lâair de mourir. Câest comme ça. Ne viens pas voir ça, ce nâest pas la peine⊠â Je ne te quitterai pas. Mais il Ă©tait soucieux. â Je te dis ça⊠câest Ă cause aussi du serpent. Il ne faut pas quâil te morde⊠Les serpents, câest mĂ©chant. Ăa peut mordre pour le plaisir⊠â Je ne te quitterai pas. Mais quelque chose le rassura â Câest vrai quâils nâont plus de venin pour la seconde morsure⊠Cette nuit-lĂ je ne le vis pas se mettre en route. Il sâĂ©tait Ă©vadĂ© sans bruit. Quand je rĂ©ussis Ă le rejoindre il marchait dĂ©cidĂ©, dâun pas rapide. Il me dit seulement â Ah ! tu es là ⊠Et il me prit par la main. Mais il se tourmenta encore â Tu as eu tort. Tu auras de la peine. Jâaurai lâair dâĂȘtre mort et ce ne sera pas vrai⊠Moi je me taisais. â Tu comprends. Câest trop loin. Je ne peux pas emporter ce corps-lĂ . Câest trop lourd. Moi je me taisais. â Mais ce sera comme une vieille Ă©corce abandonnĂ©e. Ce nâest pas triste les vieilles Ă©corces⊠Moi je me taisais. Il se dĂ©couragea un peu. Mais il fit encore un effort â Ce sera gentil, tu sais. Moi aussi je regarderai les Ă©toiles. Toutes les Ă©toiles seront des puits avec une poulie rouillĂ©e. Toutes les Ă©toiles me verseront Ă boire⊠Moi je me taisais. â Ce sera tellement amusant ! Tu auras cinq cents millions de grelots, jâaurai cinq cents millions de fontaines⊠Et il se tut aussi, parce quâil pleurait⊠â Câest lĂ . Laisse-moi faire un pas tout seul. Et il sâassit parce quâil avait peur. Il dit encore â Tu sais⊠ma fleur⊠jâen suis responsable ! Et elle est tellement faible ! Et elle est tellement naĂŻve. Elle a quatre Ă©pines de rien du tout pour la protĂ©ger contre le monde⊠Moi je mâassis parce que je ne pouvais plus me tenir debout. Il dit â Voilà ⊠Câest tout⊠Il hĂ©sita encore un peu, puis il se releva. Il fit un pas. Moi je ne pouvais pas bouger. Il nây eut rien quâun Ă©clair jaune prĂšs de sa cheville. Il demeura un instant immobile. Il ne cria pas. Il tomba doucement comme tombe un arbre. Ăa ne fit mĂȘme pas de bruit, Ă cause du sable. CHAPITRE XXVII Et maintenant, bien sĂ»r, ça fait six ans dĂ©jà ⊠Je nâai jamais encore racontĂ© cette histoire. Les camarades qui mâont revu ont Ă©tĂ© bien contents de me revoir vivant. JâĂ©tais triste mais je leur disais Câest la fatigue⊠» Maintenant je me suis un peu consolĂ©. Câest-Ă -dire⊠pas tout Ă fait. Mais je sais bien quâil est revenu Ă sa planĂšte, car, au lever du jour, je nâai pas retrouvĂ© son corps. Ce nâĂ©tait pas un corps tellement lourd⊠Et jâaime la nuit Ă©couter les Ă©toiles. Câest comme cinq cent millions de grelots⊠Mais voilĂ quâil se passe quelque chose dâextraordinaire. La museliĂšre que jâai dessinĂ©e pour le petit prince, jâai oubliĂ© dây ajouter la courroie de cuir ! Il nâaura jamais pu lâattacher au mouton. Alors je me demande Que sâest-il passĂ© sur sa planĂšte ? Peut-ĂȘtre bien que le mouton a mangĂ© la fleur⊠» TantĂŽt je me dis SĂ»rement non ! Le petit prince enferme sa fleur toutes les nuits sous son globe de verre, et il surveille bien son mouton⊠» Alors je suis heureux. Et toutes les Ă©toiles rient doucement. TantĂŽt je me dis On est distrait une fois ou lâautre, et ça suffit ! Il a oubliĂ©, un soir, le globe de verre, ou bien le mouton est sorti sans bruit pendant la nuit⊠» Alors les grelots se changent tous en larmes !⊠Câest lĂ un bien grand mystĂšre. Pour vous qui aimez aussi le petit prince, comme pour moi, rien de lâunivers nâest semblable si quelque part, on ne sait oĂč, un mouton que nous ne connaissons pas a, oui ou non, mangĂ© une rose⊠Regardez le ciel. Demandez-vous le mouton oui ou non a-t-il mangĂ© la fleur ? Et vous verrez comme tout change⊠Et aucune grande personne ne comprendra jamais que ça a tellement dâimportance ! Ăa câest, pour moi, le plus beau et le plus triste paysage du monde. Câest le mĂȘme paysage que celui de la page prĂ©cĂ©dente, mais je lâai dessinĂ© une fois encore pour bien vous le montrer. Câest ici que le petit prince a apparu sur terre, puis disparu. Regardez attentivement ce paysage afin dâĂȘtre sĂ»rs de le reconnaĂźtre, si vous voyagez un jour en Afrique, dans le dĂ©sert. Et, sâil vous arrive de passer par lĂ , je vous en supplie, ne vous pressez pas, attendez un peu juste sous lâĂ©toile ! Si alors un enfant vient Ă vous, sâil rit, sâil a des cheveux dâor, sâil ne rĂ©pond pas quand on lâinterroge, vous devinerez bien qui il est. Alors soyez gentils ! Ne me laissez pas tellement triste Ă©crivez-moi vite quâil est revenu⊠. 528 109 537 660 39 650 464 788